Comme on pouvait s’y attendre, Laurent Gbagbo n’a pas fui. Face aux crépitements des armes et aux bombardements des hélicos de la coalition mondiale sur sa résidence, il n’a pas tenté le plongeon auquel certains hommes politiques nous ont habitués pour se refugier dans une ambassade ou dans un camp militaire étranger quelconque. En digne capitaine, il est resté dans le bateau jusqu’à la limite du possible. Et l’histoire retiendra cet acharnement de la France, des Etats-Unis et des Nations Unies contre un homme dont on disait même qu’il était trop démocrate. Ses adversaires locaux peuvent être heureux de l’avoir comme prisonnier. Mais ils devraient rester persuadés qu’ils n’auraient pas ce plaisir de se l’offrir comme trophée de guerre, si la France et sa coalition n’avaient pas fait de sa chute un défi personnel. Gbagbo aura montré qu’il n’est pas un fuyard. En septembre 2002, lorsque son régime a été attaqué par la rébellion d’Alassane Ouattara, il a tout arrêté en Italie pour rentrer en Côte d’Ivoire où les canons tonnaient encore, alors que Paris lui proposait un asile doré. Il vient de signé aujourd’hui encore son courage. Un courage qui lui vaut, à lui et sa famille, une humiliation suprême et une torture indicible dans les locaux même de la présidence du « démocrate » Alassane Ouattara. Et certains comme Kouassi Adjoumani, qui auraient voulu assurément le voir mort, n’ont pas hésité à dire « s’il est si courageux, pourquoi ne s’est-il pas donné la mort pour éviter cette humiliation ? » D’autres encore disent : « s’il savait cette fin, il aurait cédé depuis le départ ». Mais se suicider n’a jamais été un courage, mais une lâcheté. On meurt pour cesser d’affronter les difficultés de la vie, de connaitre des expériences pénibles. Or, c’est dans la pratique de ces problèmes que le courage prend son sens. C’est pourquoi il est plus facile de mourir que de vivre. Laurent Gbagbo devrait-il céder le pouvoir à son rival dès que Young Jin Choi, le représentant spécial du Secrétaire général de l’Onu, a certifié Alassane élu ? Si nous devons suivre cette logique, nous irions plus loin. Vraiment loin pour dire que si Gbagbo savait cette suite des événements, il ne serait même pas présenté à la présidentielle. Il aurait organisé simplement les élections, mis en compétition les candidats et se serait retiré dignement. En clair, si l’on devinait l’avenir, il y a tellement de choses qui ne seraient pas produites dans ce monde… Hélas ! Mais que Gbagbo se retrouve entre les mains de ses adversaires ne signifie pas du tout qu’il a perdu les élections. Il n’a pas perdu les élections, mais la guerre. Il a perdu la guerre parce que son rival, relai local des intérêts occidentaux, a été secouru avec une puissance de feu digne d’une guerre mondiale. Or, Gbagbo n’avait pas préparé une guerre mondiale. Il a préparé une sortie de crise pacifique. Sinon, il aurait attaqué directement la rébellion qui refusait de désarmer, sans avoir besoin de passer par une élection pour ouvrir le feu. Et lorsqu’on n’a perdu qu’une bataille ou même la guerre, on le reconnait ; mais on ne signe pas, même sous la menace d’une arme, une reconnaissance de la victoire électorale de son rival. C’est parce que Laurent Gbagbo refuse de signer un tel document qu’il continue de faire l’objet de torture et d’incessants déplacements. Les Ivoiriens doivent avoir le courage de Laurent Gbagbo, ce digne fils d’Afrique qui, comme Patrice Lumumba, avait voulu faire de son pays et de ce continent, une terre vraiment indépendante. Mais qu’ils se rappellent que le danger que court l’humanité, c’est que la France et ses alliés, ont les moyens de faire de leurs mensonges, des vérités à défendre par le feu de leurs canons. Mais Dieu a le dernier mot.
Germain Séhoué
Source : Le Temps