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Libye, Côte d’Ivoire, l’ONU devient-elle une organisation va-t-en guerre ?

Les opérations militaires des Nations unies en Côte d’Ivoire et en Libye soulèvent des accusations de partialité de la part de certains pays membres. D’autres se réjouissent de la nouvelle attitude de l’organisation internationale : elle sait s’engouffrer dans le vide juridique de certains mandats et les interpréte afin de venir au secours de civils pris au piège.

De notre correspondant à New York, Karim Lebhour

Le 30 mars dernier, au moment de voter la résolution 1975 ouvrant la voie à une action militaire des Nations unies en Côte d’Ivoire pour « neutraliser les armes lourdes visant des civils », l’ambassadeur indien aux Nations unies a fait part, devant le Conseil de sécurité, de sa mauvaise humeur. « Les casques bleus ne doivent pas être un instrument de changement de régime. L’Onuci ne doit pas prendre parti dans l’impasse politique ivoirienne », s’est exclamé Hardeep Singh Puri. Moins de quinze jours après un vote controversé sur l’intervention militaire en Libye, cette nouvelle résolution « musclée » concernant la situation en Côte d’Ivoire a suscité un sentiment de malaise au sein d’une organisation traditionnellement rétive à l’usage de la force.

L'Onuci à Abidjan, le 4 avril 2011
ONU/Photo/Basile Zoma
Quand Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies a ordonné, à deux reprises, aux forces de l’ONU en Côte d’Ivoire de frapper les positions des forces de Laurent Gbagbo à Abidjan, les officiels onusiens ont déployé beaucoup d’efforts pour ne pas apparaître comme prenant le parti d’Alassane Ouattara et assurer que l’organisation restait neutre et impartiale. « Nous sommes strictement restés dans le mandat donné par le Conseil de sécurité à savoir neutraliser les armes lourdes, justifie Alain Leroy, le chef des opérations de maintien de la paix. Non seulement Laurent Gbagbo n’a pas renoncé à l’usage de ces armes, mais il en a intensifié l’usage, sur les patrouilles de l’ONU et contre les civils dans les quartiers d’Adjamé et d’Attécoubé », ajoute-t-il, rappelant le vote unanime du Conseil de sécurité sur la résolution 1975.

Et les armes lourdes des forces pro-Ouattara ? « S’ils en possèdent, ces armes n’ont pas été utilisées contre nous ou contre des civils », répond Alain Leroy, qui reconnaît qu’à Duékoué, où l’organisation Human Right Watch accuse les soldats pro-Ouattara de massacres, les forces de l’Onuci, trop peu nombreuses, « n’ont pas pu protéger les victimes ».

Photo Otan
Peu après les premières frappes de l’Onuci et de la force française Licorne à Abidjan, Alain Leroy a dû répondre à un feu nourri de questions de diplomates du Conseil de sécurité se demandant si les frappes contre le palais présidentiel et la résidence de Laurent Gbagbo n’allaient pas au-delà du mandat donné à l’ONU. Alain Leroy a assuré que seules les armes se trouvant à proximité de ces bâtiments étaient visées, mais le soupçon de partialité demeure.

Une interprétation juridique des mandats

La Russie a mis publiquement mis en cause la légalité des frappes onusiennes et accusé les Nations unies de « s’ingérer dans un conflit intérieur en soutenant l'une des parties. » L’Afrique du Sud a affiché ses doutes. « Disons que nous avons détruit avec impartialité les armes de Laurent Gbagbo, ironise un diplomate du Conseil qui requiert l’anonymat. Ce n’est pas dans la culture des Nations unies de mener des actions militaires fortes ou de prendre parti dans une guerre civile. La Libye, puis la Côte d’Ivoire, cela commence à faire beaucoup », ajoute-t-il témoignant de « sentiments mêlés » parmi les membres du Conseil dont certains «  s’alarment de cette dérive ».

Les deux interventions en Libye et en Côte d’Ivoire découlent de la résolution sur la protection des civils dans les conflits armés, adoptée par l’Assemblée générale 2005 et qui donne aux Nations unies la possibilité d’intervenir pour stopper un génocide ou des crimes de guerre. Le concept, repris par une résolution du Conseil de sécurité en 2009, affirme la notion de responsabilité des Etats membres et du droit d’ingérence ou d’intervention « humanitaire » face aux tenants de la souveraineté des Etats. « La protection des civils est au cœur des résolutions sur la Libye et la Côte d’Ivoire, le problème réside dans la mention du recours à ‘toutes les mesures nécessaires’. C’est un langage suffisamment flou pour laisser la place à des interprétations très larges de l’usage de la force militaire », note Phyllis Bennis, de l'Institute for Policy Studies à Washington. «  En Libye, la résolution a été votée pour sauver Benghazi, mais les frappes vont bien au-delà. En Côte d’Ivoire, les forces françaises et onusiennes ont clairement agi aux côtés des forces d’Alassane Ouattara. Il me semble que l’esprit, sinon la lettre de la résolution, n’est pas respecté », poursuit-elle.

Stéphane Crouzat, porte-parole de la mission française à l’ONU, balaye les accusations suscitées par les deux interventions et se réjouit de voir la responsabilité de protection des civils évoquée de plus en plus fréquemment par le Conseil de sécurité. « C’est une véritable avancée, dit-il. Jusqu’ici la protection des civils était un concept en devenir, maintenant cela devient très concret. » Laurent Gbagbo et Mouammar Kadhafi sont peut-être les premiers à faire les frais d’une fermeté nouvelle de l’ONU, longtemps moquée pour sa faiblesse et son incapacité à agir.
Par RFI
k1fo 13.04.2011 0 1954
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