Une Française est la Première dame de Côte d'Ivoire depuis l'élection de son mari, il y a quatre mois. Aux côtés d'Alassane Ouattara, voilà son épouse Dominique, née Nouvian, veuve Folloroux, bientôt au sommet d'un Etat africain. Depuis presque quarante ans, la Côte d'Ivoire est son troisième pays.
Née à Constantine dans l'Algérie française il y a 57 ans, cette femme d'affaires à succès fut très liée au père de l'indépendance ivoirienne, Félix Houphouët-Boigny (1905-1993), à qui elle doit le lancement de sa fortune.
Dominique Folloroux Ouattara reste accusée, par les opposants de son mari, Premier ministre d'Houphouët quand elle l'a épousé en 1991, d'avoir été la maîtresse de ce dernier. Ce qui n'est qu'une rumeur aurait été décisif pour Jacques Chirac, en 2005, selon un des câbles diplomatiques américains de WikiLeak, révélés par Rue89.
Un diplomate français a raconté à un homologue américain que les relations des Français avec le camp Ouattara étaient rompues parce que Chirac n'acceptait pas son mariage avec « la femme » d'Houphouët.
Ces confidences, qui ont manifestement déconcerté les Américains, sont rapportées dans un télégramme envoyé au Département d'Etat par l'ambassade US à Paris.
Le câble est classé « SECRET/NOFORN », le plus haut degré de classification possible (« NOFORN » signifie « non communicable à des citoyens étrangers »). (Voir la capture, cliquer pour agrandir)
A l'époque, Bruno Foucher est le sous-directeur pour l'Afrique de l'Ouest au Quai d'Orsay. Le 20 avril 2005, il rencontre le diplomate de l'ambassade américaine à Paris chargé du dossier Afrique – « Africa Watcher », dans le jargon de Washington.
Après différents échanges sur les développements de la crise ivoirienne à l'époque, l'Américain questionne le Français sur les relations de son gouvernement avec l'opposant Alassane Ouattara :
« Interrogé sur l'éventuel maintien de contacts du gouvernement français [GOF, “government of France”, ndlr] avec Ouattara, Foucher a dit qu'il n'y en avait plus.
Demandant que ses observations soient traitées en confidence, Foucher (protéger strictement) a dit que la raison pour laquelle le gouvernement français n'avait pas maintenu le contact avec Ouattara était l'opposition du président Chirac au “mariage à Paris” de Ouattara avec “la femme” [en français dans le texte, ndlr] de Houphouët-Boigny.
Foucher a répété ce commentaire quand nous lui avons demandé si nous l'avions correctement compris.
Foucher a indiqué que les sentiments de Chirac vis-à-vis de Ouattara étaient tels que personne, au ministère des Affaires étrangères ou à la présidence, ne cherchait le contact avec Ouattara. Le contact, a-t-il dit, est maintenu à travers “d'autres canaux” (NFI) [National Foreign Intelligence, la DGSE, ndlr]. »
Le rédacteur américain poursuit en résumant les recherches effectuées dans des sources ouvertes, qui montrent que la femme de Ouattara est française, qu'elle possède « des contacts politiques et une influence étendus », et qu'elle a géré des intérêts d'Houphouët-Boigny en France.
Arrivée en 1973 en Côte d'Ivoire, Dominique Folloroux était l'épouse d'un professeur au lycée technique d'Abidjan, qui est décédé en 1983, la laissant avec deux enfants. Entre-temps, elle a fondé AICI, une société de gestion immobilière à qui Houphouët a confié tous ses biens dans la pierre, et pas seulement en France. C'est aujourd'hui un groupe prospère, en France et en Afrique.
La suite du câble tourne au cocasse, bien que rédigée avec le même sérieux :
« Il n'y a pas d'indication que Mme Ouattara ait été mariée avec M. Houphouët-Boigny.
Il n'est donc pas clair, quand on se base sur la remarque de Foucher, si Chirac désapprouve certains aspects de la relation de Ouattara avec sa femme en raison d'une relation (non maritale) antérieure qu'elle a pu avoir avec Houphouët-Boigny, d'une relation que Ouattara a pu avoir avec la veuve d'Houphouët-Boigny, ou d'une autre relation entre les parties. »
A l'époque, le président Chirac soutenait Henri Konan Bédié, rival de Ouattara dans l'opposition à Laurent Gbagbo. Rien n'indique, dans les 8 000 câbles américains en possession de Rue89, que les Américains connaissaient ce soutien.
La France a-t-elle voulu « intoxiquer » ses alliés, ou le locataire de l'Elysée a-t-il vraiment basé un choix diplomatique sur des considérations morales ? Si intoxication il y a eu, elle semble avoir fonctionné. Ce câble montre en tous cas à quel point les Américains sont dépendants des Français pour s'informer sur la Côte d'Ivoire.
Si Konan Bédié était proche de Chirac, les Ouattara, eux, sont jugés proches de Nicolas Sarkozy. Plusieurs médias ivoiriens, et parfois français (comme Le Point), affirment ainsi que l'actuel président français les a mariés, alors qu'il était maire de Neuilly.
C'est faux, puisqu'ils se sont mariés le 24 août 1991 à la mairie du XVIe arrondissement de Paris. Le journaliste Antoine Glaser, rédacteur en chef de La Lettre du continent, était présent. En se replongeant dans son livre « Ces messieurs Afrique » (avec Stephen Smith, Calmann-Lévy, 1992), il se souvient :
« Nicolas Sarkozy n'était pas là, pas plus que Cécilia, qui est une amie de Dominique Ouattara. Il y avait en revanche Martin Bouygues et Jean-Christophe Mitterrand, amis des Ouattara, comme la présidente des filiales du groupe Bolloré en Côte d'Ivoire.
C'est un maire adjoint de l'arrondissement qui a prononcé l'union, en excusant le maire du XVIe et le maire de Paris, Jacques Chirac. »
Le journaliste estime que sous Sarkozy, la France n'a pas soutenu Ouattara plus que Gbagbo, en soulignant que Claude Guéant, alors secrétaire général de l'Elysée, rencontrait le président ivoirien sortant à Abidjan quand il était probable qu'il serait réélu.
Concernant Dominique Folloroux Ouattara, Glaser confirme que la rumeur mise dans la bouche de Chirac par le diplomate français correspond à « ce que l'entourage de Konan Bédié répétait » :
« C'est ce que disent tous les anti-Ouattara. Je pense qu'elle cocoonait le vieil Houphouët, mais ça n'allait pas plus loin, compte tenu de son âge. »
En gérant les intérêts immobiliers du « Vieux », Dominique Folloroux Ouattara a créé un petit empire, qui s'étend aujourd'hui à la franchise des salons de coiffure Jacques Dessange aux Etats-Unis ou à la direction de Radio Nostalgie Afrique.
Son groupe immobilier (1,3 million d'euros de chiffre d'affaires en 2009) est une affaire familiale (son fils, son mari, son frère et sa sœur en sont administrateurs) marquée par une présence nombreuse de femmes à des postes de direction.
La blonde et pâle businesswoman est aussi une politicienne accomplie, qui rivalisait avec Simone Gbagbo dans l'humanitaire, avec sa fondation Children of Africa, et dans le cœur des Ivoiriens, malgré les attaques xénophobes des opposants de son mari.
La French lady est désormais en passe de détrôner la Dame de fer.
Photos : Dominique Ouattara lors d'un meeting du Rassemblement des républicains de Côte d'Ivoire, à Aboisso, le 30 septembre 2010 (Thierry Gouegnon/Reuters) ; Henri Konan Bedié (extoz.com/Wikimedia Commons).
Source : Rue89