L’efficacité de l’exercice des plus hautes charges de l’Etat par Allassane Ouattara est confrontée à la légitimité de sa désignation comme chef de l’Etat et la légalité de son installation au poste de président de la République. Mais surtout, le retour à la normalité, de même que la réconciliation et le développement qu’il promet n’est pas acquis.
Contrairement à ce que le discours d’Allassane Ouattara fait percevoir, le retour à la normalité est loin d’être certain en Côte d’Ivoire. Ses “ décisions prioritaires qui ont pour objectifs la sécurisation des populations, la reprise progressive de l’activité économique et un retour à la situation normale qui permettra de panser peu à peu les plaies de cette grave crise postélectorale ” butent sur la ténacité du groupe de Laurent Gbagbo. Son opération militaire ne permet pas “ à tous les ivoiriens de tourner définitivement la page ”.
Au lendemain de ce discours, Laurent Gbagbo que l’on croyait anéanti, a appelé à la résistance de ses partisans contre la France. Dès le 8 avril, des militaires qui lui sont restés fidèles ont repoussé les forces républicaines qui ne contrôlaient plus que les quartiers réputés favorables à Gbagbo. Hier 10 avril, le blocus de la résidence présidentielle n’était plus effectif. Mieux, les forces de Gbagbo ont lancé un assaut contre l’Hôtel du Golfe, le quartier général d’Allassane Ouattara. Une opération inédite depuis le début de la crise. Les événements du week-end du 8 au 10 avril ont mis en doute la capacité théorisée par le discours de Ouattara, de sécuriser la capitale économique du pays. Une indication que la paix n’est pas pour tout de suite.
L’hypothétique réconciliation
La poursuite d’un tel déchaînement de violence n’est pas de nature à favoriser la réconciliation nationale. Car la réconciliation suppose que chacun prennent conscience des ravages de la guerre, que l’on présente des dispositions à tendre ou à recevoir la main tendue de l’autre, que l’on s’assied pour établir les responsabilités, que chacun reconnaisse ses fautes et que justice soit rendue. Or, de part et d’autre, on a la revanche à l’esprit.
Les patriotes sont décidés à ne pas laisser impunie l’offensive des forces républicaines. Tandis que les avocats de Ouattara ont demandé à la justice internationale d’ouvrir une enquête aux fins d’établir l’implication du camp de Gbagbo dans les crimes commis durant la crise. Tout comme leur lettre suggère une intervention armée de la France pour extirper Gbagbo du Palais. Dimanche 10 avril, des hélicoptères de l’Onuci et de la France ont recommencé à planer au-dessus de la résidence présidentielle pour “ neutraliser les armes" utilisées par les militaires de Gbagbo. Les massacres se poursuivent, tandis que de nouveaux charniers sont découverts à travers le pays.
L’expérience ivoirienne montre que même une commission paix et réconciliation n’efface pas les plaies comme le laisse croire le discours. Après avoir pris le pouvoir au début des années 2000, Gbagbo avait organisé une rencontre de réconciliation à laquelle ont participé l’essentiel des leaders d’opinion ivoirien dont l’ex-président Henri Konan Bedié renversé par coup d’Etat le 24 décembre 1999 par le général Robert Guéi, le putschiste Robert Guéi lui-même, Allassane Ouattara que Bédié et Guéi avaient empêché de poser sa candidature à la présidence, etc. Gbagbo est même allé loin, en signant un décret accordant la nationalité ivoirienne à Ouattara que certains avaient exclus du jeu politique par le concept d’ivoirité puisqu’on le soupçonnait d’être bourkinabé. Malgré tout cela, la tentative de coup d’Etat est arrivée.
Reconstruction dans l’instabilité ?
Dans ce tourbillon, il n’est pas possible d’envisager un développement serein du pays. Les investissements continueront d’être hésitants à cause de l’instabilité politique. Mais il faut reconnaître que si Ouattara a l’effectivité du pouvoir, son entregent auprès de certains gouvernements étrangers et des institutions financières internationales telles que la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, la Banque africaine de développement, la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international pourrait aider. La levée du blocus de certaines structures économiques à l’instar des ports, tout comme la réouverture des agences de la banque centrale à la simple demande de Ouattara montre une certaine aisance à impliquer ces institutions dans la reconstruction du pays.
Toutefois, l’activité économique ne pourrait pas être autant vigoureuse que si la paix était acquise. On se rappelle que les dix ans de présidence tourmentée de Gbagbo ont fait chuter l’économie de ce pays qui, non seulement est la plaque tournante de l’économie ouest-africaine - hormis le Nigeria - mais est surtout le premier exportateur mondial de cacao. En tous points de vue, le discours de Ouattara exprime une possibilité, mais pas une réalité. L’homme a simplement voulu se servir du pouvoir du langage dans le sens où Austin expliquait comment faire les choses avec les mots, pour amadouer le peuple ivoirien meurtri. Il projette une illusion du pouvoir à laquelle il entend rallier tout le monde.
Ibrahim FALL
Source : Cameroonvoice