La France s'isole en Libye
Malgré l'annonce de son abandon, le parachutage français d'armes aux rebelles libyens a divisé la coalition. © Thaier Al-Sudani / Reuters
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Après la Russie et le Royaume-Uni, c'est au tour du Congrès américain de prendre ses distances avec l'initiative française d'armer les rebelles.
Après avoir fustigé l'intervention américaine en Irak, la France jouerait-elle désormais le mauvais rôle en Libye ? Paris se trouve en tout cas chaque jour davantage isolé auprès de ses alliés, en dépit de l'annonce mardi de l'abandon du parachutage français d'armes aux rebelles libyens. Après la Russie et le Royaume-Uni, c'est maintenant au tour des États-Unis de prendre leurs distances avec l'initiative française. En effet, la Chambre américaine des représentants a voté jeudi un amendement interdisant au Pentagone de fournir tout équipement, entraînement ou soutien militaire aux opposants de Muammar Kadhafi, sans pour autant couper les fonds nécessaires à la poursuite de la guerre en Libye. À l'origine du vote, le représentant républicain Tom Cole, qui a insisté sur la "responsabilité du Congrès (...) à mettre fin à cette aventure irréfléchie en Libye".
Pour Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et ancien militaire de haut rang dans l'armée de l'air, ce vote possède à la fois des portées intérieures et internationales. "Il s'agit d'une réaction logique du Congrès américain qui n'a pas été consulté au moment de l'engagement américain en Libye", explique le chercheur. "Mais c'est aussi un sérieux rappel à l'ordre vis-à-vis de la France et de son interprétation extrêmement limite de la résolution 1973 de l'ONU."
Des missiles en guise d'aide
Les résolutions 1970 et 1973, qui ont ouvert la voie à une intervention occidentale en Libye, sont notamment censées, d'une part, prévoir une zone d'exclusion aérienne visant les forces du colonel Kadhafi et, de l'autre, mettre en oeuvre "tous les moyens nécessaires" pour éviter des exactions contre les populations civiles. Des "moyens" qui ont donc pris la forme de lance-roquettes, de fusils d'assaut, de mitrailleuses et de missiles antichars parachutés par avion dans la région montagneuse du djebel Nefoussa, au sud de Tripoli, a-t-on appris le 28 juin dernier dans les colonnes du Figaro.
Or, c'est avec des mots très durs que Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, a condamné publiquement le 1er juillet l'initiative française, devant un Alain Juppé médusé. Pour le chef de la diplomatie du Kremlin, qui a dénoncé une "violation grave de la résolution 1970", cette résolution permettrait en réalité "à n'importe qui de faire n'importe quoi, n'importe quand". Faux, répond le ministre français des Affaires étrangères, qui met en avant la situation "extrêmement précaire" des populations attaquées par Kadhafi pour expliquer le geste français, qui, selon lui, rentre donc "exactement dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU". Mais Paris était loin de se douter que la gronde irait jusqu'à gagner son principal partenaire en Libye, c'est-à-dire le Royaume-Uni.
"Une guerre civile"
"Cette résolution ne prévoyait pas d'armer un camp contre un autre dans une guerre civile, à l'intérieur d'un pays dont on avait oublié qu'il n'avait pas vocation à rester uni", estime Jean-Vincent Brisset, qui pense que l'on sous-estime les soutiens dont dispose encore Muammar Kadhafi dans le pays. Tandis que le conflit va bientôt entrer dans son quatrième mois et que Tripoli est toujours aux mains du colonel Kadhafi, cette dernière polémique ne symbolise-t-elle pas l'enlisement d'une coalition dont l'intervention ne devait pourtant pas dépasser la quinzaine de jours, dixit les membres du Conseil national de transition libyen, réunis en mars à Paris ? Et l'ancien pilote de chasse de mettre en cause certaines décisions politiques : "Peut-être les gouvernements engagés auraient-ils dû se concerter avec de véritables connaisseurs de la Libye avant de s'engager."
Armin Arefi
Le Point