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L’ingérence en Côte d’Ivoire a été et reste génocidaire (Me Koffigoh)

Afrique Monde-8/5/2011

 

Joseph Kokou Koffigoh, ancien Premier ministre du Togo (et Chef de la Mission d’observation de l’Ua lors de la présidentielle ivoirienne du 28 novembre dernier), reste plus que jamais droit dans ses bottes de panafricaniste. Au lendemain de la chute du pouvoir de Koudou Gbagbo, il interprète pour nous les faits et gestes des principaux acteurs de l’actualité internationale sur le continent noir. Sans fioritures.

 

AfriSCOOP : Comment entrevoyez-vous l’avenir de la Côte d’Ivoire après la capture de Laurent Gbagbo par les Forces républicaines, avec le soutien des « Forces spéciales françaises » ?

 

Me Koffigoh : L’avenir de la Côte d’Ivoire ? Dieu seul peut dire ce qu’il sera. Ce qui frappe les yeux, c’est la situation chaotique que la communauté internationale vient de créer dans ce grand et beau pays.

 

AfriSCOOP : Il y a quelques mois, vous nous disiez que la crise ivoirienne va « au-delà de la simple question électorale ». L’arrivée d’Ado à la présidence devrait-elle précipiter ou retarder la réconciliation entre les Ivoiriens ?

 

Me Koffigoh : La réconciliation en Côte d’Ivoire sera une œuvre de longue haleine quel que soit le chef de l’Etat. Laurent Gbagbo était sur la bonne voie par l’acceptation de nombreux accords et même les plus invraisemblables, au nom de la paix. Au vu des cadavres qui jonchent les rues des villes, les places des villages et les recoins des forêts, vu l’état de terreur qui contraint la population et les cadres à l’exil, le nouveau chef de l’Etat aura fort à faire pour panser les plaies et recoller le tissu social complètement délabré.

 

Pour vous qui connaissez bien la Côte d’Ivoire et qui avez été chef de la Mission d’observation de l’Ua lors du second tour de la présidentielle du 28 novembre dernier, quelles actions concrètes doit-on mettre en œuvre dans ce pays pour y éviter, à jamais, une répétition de la crise de l’« Ivoirité » ?

 

La crise de l’ivoirité n’est plus d’actualité. Celui qui l’a créée et celui qui en a été victime sont depuis unis contre Laurent Gbagbo qui pourtant s’est sacrifié pour résoudre les problèmes d’exclusion et d’identité. La question qui se pose, est celle-ci : que faire pour que le pays redevienne normal ?

 

Il faut libérer les prisonniers de guerre et les prisonniers politiques, y compris Laurent Gbagbo, sa femme et ses partisans, et arrêter les persécutions qui sont en cours. Il faut créer les conditions du retour des personnes déplacées, des exilés et des réfugiés. Il faut créer une armée nationale et républicaine unique pour tout le pays. Il faut remettre en route l’appareil économique en rétablissant la sécurité dans les villes et les campagnes. Il faut organiser une conférence de réconciliation qui doit déboucher sur une Commission Vérité-Justice et Paix. Dans ce pays, toutes ces actions deviennent prioritaires.

 

En tant qu’ancien haut responsable politique africain, quels sont les principaux enseignements que vous tirerez de l’intervention de la diplomatie africaine dans le différend ivoirien ?

 

La diplomatie africaine n’a pas fonctionné. Elle a pris un mauvais départ en prenant parti dans le conflit. Elle a échoué dans sa phase finale en cautionnant une solution militaire chaotique sous la pression d’une certaine grande puissance extérieure au continent et aux visées plutôt néocolonialistes.

 

Quelle position avez-vous adopté dans les divergences passionnées, dans l’élite africaine, entre pros et contre ingérence de la France dans les affaires de la Côte d’Ivoire, à la faveur de la capture de M. Gbagbo ?

 

En frappant Laurent Gbagbo pour le capturer et le livrer à ses adversaires, les autorités françaises ont profondément blessé le cœur et la dignité des Africains. La génération présente mettra du temps à oublier l’arrogance dont a fait preuve l’ancienne puissance coloniale. L’ingérence ici n’a pas été humanitaire ; elle a été et reste génocidaire si l’on en juge par les conséquences.

 

Au sein de la grande famille politique africaine, l’arrestation de Laurent Gbagbo a suscité de rares réactions, aux quatre coins du continent… Réaction….

 

Tout le monde a peur, c’est tout. Mais à voix basse, des millions d’Africains parmi l’élite désapprouvent.

 

M. le Premier ministre, une chose est de dénoncer l’ingérence de l’Occident en Afrique, l’autre est de ne pas prêter le flanc à la matérialisation de cette ingérence. M. Koffigoh : comment les Etats d’Afrique doivent-ils dorénavant se comporter pour réduire l’ingérence multiforme de la France dans son pré-carré, sur le continent noir ?

 

Tant que l’Afrique sera le grand malade économique et social sous perfusion financière des puissances extérieures, elle ne pourra rien décider d’elle-même. De nombreux Etats courbent l’échine en quémandant des remises de dette. Les cotisations de nos organisations régionales et continentales accusent des arriérés énormes qui ne sont compensées que par l’aide de l’Union Européenne.

 

Les hauts fonctionnaires de nos organisations sont à la recherche de missions juteuses en Europe et en Amérique. Ils ne peuvent rien dire de contraire au point de vue de leurs sponsors. Voilà la réalité. La solution passe par la prise de conscience, elle passe par la remobilisation des énergies comme dans les années 50 avant l’indépendance et les années 60, après l’accession à la souveraineté internationale. L’Afrique est riche en ressources naturelles. Elle peut convertir ses ressources pour en faire une puissance économique et financière et pendre son destin en main.

 

Sans vouloir donner dans du passéisme, M. Koffigoh, en tant que proche du couple Gbagbo, ne vous est-il jamais passé par la tête de demander à Simone et Laurent d’abdiquer, quand l’Onuci et Licorne se sont ouvertement invitées dans les combats contre le pouvoir Fpi ?

 

L’opinion publique ivoirienne était favorable à la résistance pacifique contre les puissances extérieures. Cette résistance a permis à chacun d’aller jusqu’au bout de sa logique et aux uns et aux autres de jeter leurs masques. La logique du coup d’Etat a ainsi pu apparaître au grand jour. Trois jours avant le début des frappes (contre la Présidence ivoirienne), j’ai appelé le Président Gbagbo et je me suis rendu compte qu’il ne savait pas que les gens iraient jusqu’à cette folie meurtrière.

 

Un autre dossier dans lequel les intellectuels africains sont abonnés aux absents en ce moment est le conflit libyen. Quelle lecture faites-vous du « non » opposé par les rebelles du Cnt (Conseil national de transition) aux propositions d’un panel de dirigeants africains qui avaient préalablement réussi à convaincre le colonel Khadafi ?

 

Ce n’est pas étonnant que les insurgés libyens aient refusé l’offre des Africains. Ils sont adossés aux mêmes puissances qui ont frappé la Côte d’Ivoire. Ils savent que Khadafi ne résistera pas indéfiniment à la puissance militaire des grands de ce monde. Quant à l’Union Africaine, le fait qu’elle ait livré Laurent Gbagbo aux forces néocolonialistes a affaibli sa position en Libye.

 

Les insurgés savaient que ce n’est pas d’elle que viendra la solution. L’Union Africaine aurait pu exiger de l’Otan au moins un cessez-le-feu. Au lieu de cela, elle assiste impuissante à la destruction d’un pays qui est à l’origine de la création de l’Union Africaine par la Déclaration de Syrte du 9 septembre 1999.

 

Que répondez-vous aux Africains qui estiment que la rébellion libyenne n’avait pas lieu d’être, car le Guide Khadafi fait bénéficier, autant que possible, les recettes pétrolières à l’ensemble de sa population ?

 

L’insurrection libyenne n’a pas un fondement économique. Les Libyens ne sont pas les plus mal lotis en Afrique ! Il s’agit plutôt de la revendication d’un espace de liberté et de démocratie comme ce fut le cas en Afrique noire dans les années 90. Les dirigeants du Sud de la planète mettent trop de temps pour comprendre cette aspiration. Et quand ils comprennent, c’est malheureusement trop tard.

 

Ben Ali a été chassé du pouvoir le 14 janvier ; H. Moubarak s’est retiré malgré lui de la présidence le 11 février ; Blaise Campaore a vu son pouvoir vaciller le 15 avril, pour la première fois en 24 ans de pouvoir. En tant que juriste, quelles solutions urgentes doit-on opposer à cette envie des peuples d’en découdre avec leurs dirigeants sur le continent noir ?

 

La solution urgente me paraît être la limitation des mandats présidentiels à deux au maximum pour donner la chance à d’autres d’accéder au pouvoir ! Il y a des pays où on bloque l’alternance, même au sein du parti au pouvoir. Quand la voie est sans issue et qu’il faut néanmoins avancer, on casse les murs. C’est ce qui arrive par-ci, par-là.

 

Le 27 avril dernier, le Togo a célébré ses 51 ans de souveraineté. Quels mots poserez-vous sur les maux politiques locaux, au moment où Opposition et parti au pouvoir se regardent plus que jamais en chien de faïence ?

 

A mon avis, on ne peut jamais taire les divergences, voire les querelles dans une démocratie. Mais lorsqu’il s’agit de célébrer la Fête nationale, on doit pouvoir observer une trêve et fêter ensemble, au moins une fois par an. J’espère qu’on y arrivera un jour au Togo.

 

Interview réalisée par Jacques Ganyra © AfriSCOOP

zapayoro 08.05.2011 0 1949
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08.05.2011 (4709 days ago)
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