DÉMOCRATISATION À LA TOGOLAISE
Tètè Tété, 1998
Table des matières
Le RPT
Sylvanus Olympio est mort assassiné. C’est un fait. Mais les témoignages divergent sur les circonstances exactes de ce meurtre. Parmi les recoupements des faits dans la presse internationale, ceux du mensuel Afrique-Asie [Afrique- Asie , juin 1992, n° 33, p. 11 , 12.] , repris par le journal privé togolais Nyawo dans sa nouvelle série (n° 17) , semble plus proche de la vérité. Les faits. Samedi 12 janvier 1963. Il est 23 heures. Mme Dina Olympio entend des bruits insolites. Puis, des coups de feu éclatent et résonnent dans la nuit. Le président Olympio, instinctivement averti du danger, escalade le mur qui sépare sa maison de l’ambassade des Etats-Unis. Il trouve refuge dans une vieille Buick poussiéreuse. Un peu plus tard, les militaires défoncent le portail, pénè-trent dans la villa, fouillent partout. Ils ne trouvent pas le Président, mais emporteront argent et bijoux. Au petit matin, les soldats informent le commandant Maîtrier de leur chasse infructueuse. Le commandant apprend la nouvelle à l’ambassadeur de France, Louis Mazoyer. Ce dernier panique un court instant : comment expliquer l’affaire à Paris ? Déjà sur les ondes de quelques radios en France, on a déjà annoncé la mort du Président togolais. L’Ambassadeur saisit son téléphone et appelle son homologue américain, Léon Poullada, lui demandant si Olympio ne se trouve pas par hasard dans son ambassade. M. Poullada cherche et trouve Olympio. Il en avertit Mazoyer. Le Français demande à l’Américain de demeurer "en dehors du coup", et de se débarrasser du président Olympio. Ce qui se fera : les putschistes foncent à l’ambassade américaine et arrêtent le président Olympio. Le président Sylvanus Olympio est emmené hors de l’ambassade. Les soldats attendent une Jeep qui doit les transporter avec le prisonnier au camp du Régiment interarmes. La Jeep arrive. A son bord, le sergent Eyadéma. Celui-ci aurait demandé aux soldats d’abattre le prisonnier. Un soldat nommé Kara tire : juste aux pieds du président Olympio assis sous un arbre, sans le toucher. Le sous-officier Eyadéma se serait alors saisi lui-même du fusil-mitrailleur. Il aurait tiré à bout portant trois balles sur le Président : deux dans la poitrine et un troisième dans l’abdomen. Puis Eyadéma sort de sa poche un couteau et coupe les veines du président Olympio.
De retour au camp, l’adjudant Emmanuel Bodjollé apprend qu’Eyadéma a tué Sylvanus Olympio au lieu de le faire prisonnier. Bodjollé fait arrêter le sergent Eyadéma. Mais le commandant Maîtrier intervient et fait libérer Eyadéma. Bien des années plus tard, un autre sergent devenu commandant, Robert Adéwi, affirmera qu’Eyadéma a reçu 300 000 F CFA des mains de Maîtrier afin d’abattre le président Olympio. Un spécialiste du Togo, M. Samuel de Calo, habitant en Floride (Etats-Unis), confirme que les câbles envoyés en 1963 par l’ambassade américaine, tendent à désigner Eyadéma comme étant l’assassin. Etienne Gnassingbé Eyadéma revendiquera l’acte pendant longtemps, puis vers les années 1990, il va entrer dans un mutisme total au sujet de cet acte.
Le commandant Maîtrier va confier les affaires courantes à Bodjollé qu’il juge plus évolué au plan intellectuel. Plus âgé qu’Eyadéma, Emmanuel Bodjollé, jeune sous-officier à l’époque, avait trente-cinq ans. Il avait servi près d’une quinzaine d’années sous les drapeaux de l’armée coloniale française. Selon Afrique-Asie [Afrique-Asie, juin 1992, n° 33, p. 11, 12.] , la veille du coup d’Etat, le sous-officier, Emmanuel Bodjollé, porte au commandant Maîtrier une note sous enveloppe mal fermée. (Ici, on peut douter de ces faits, car dans la réalité ce genre d’affaire se négocie sans intermédiaire). Toujours est-il que Bodjollé confie l’enveloppe au cuisinier de l’officier français, le gendarme Lollé. Ce dernier en l’absence de son maître, Maîtrier, par un curieux hasard, prend connaissance du contenu de la lettre. Elle disait en substance : "Ce soir nous passerons à l’action". Lollé intrigué, se rend chez un député, M. Djagba, originaire tout comme lui de Dapango. Puis le gendarme et le député se rendent chez le ministre de l’Intérieur, M. Théophile Mally. Les deux hommes racontent ce qu’ils savent. Le ministre prend connaissance de la note et ordonne à Lollé d’aller la remettre au destinataire initial. M. Mally ne fera rien pour empêcher le putsch. Lollé rentrant chez Maîtrier, trouve son patron à la maison. Maîtrier se saisit de la lettre. Il fait enfermer Lollé. Puis Maîtrier annonce à tout le monde qu’il va passer le week-end au Lac-Togo (35 km de Lomé). On le verra le samedi soir à Kpémé ; Grunitzky aussi sera présent dans la localité à cette même période. Nicolas Grunitzky est pourtant réfugié officiellement à Cotonou.
Si juste après le coup d’Etat du 13 janvier 1963, on avait des doutes concernant la thèse du complot, aujourd’hui, le comportement intéressé de la France à l’égard des pays africains anciennement colonisés ou à l’époque sous-tutelle, tend à corroborer la thèse du complot. Quelques jours avant ce 13 janvier fatidique, Jacques Foccart, "l’éminence grise du général De Gaulle pour les "opérations secrètes, notamment en Afrique" [Glaser (A.), Smith (S.), Ces messieurs Afrique – Le Paris-Village du continent noir, Calman Levy, Paris, 1992, p. 116.], aurait effectué un séjour à Cotonou où il aurait rencontré Nicolas Grunitzky. Après une indépendance politique octroyée comme à regret, la France qui souhaitait "tenir en laisse" ce pays, le sentait prendre de plus en plus certaines distances. La cellule africaine de l’Elysée voyait d’un œil torve, les nouvelles relations tissées par Olympio avec l’Allemagne, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. En outre, le président Olympio voulait battre pour son pays une monnaie propre indexée sur le Deutschmark. L’un des premiers soucis de Sylvanus Olympio : s’affranchir de la tutelle économique de la France, afin de discuter avec elle "d’égal à égal". En mai 1958, M. Olympio aurait déclaré à l’Agence France-Presse : "Je vais faire tout mon possible pour que le Togo se passe de la France". Les autorités françaises paniquaient à l’idée de ne pas trouver leur compte dans ce genre de politique. Cela risquait de faire tache d’huile dans leur pré-carré. Il est à noter aussi, que le président Olympio entendait mettre fin à sa collaboration avec le commandant Maîtrier dont le contrat arrivait à expiration. Olympio voulait mettre un terme à cette coopération technique qui coûtait plutôt cher et confier les fonctions de conseiller de la présidence en matière de sécurité à un national, en l’occurrence, à M. Bawéna, un officier gendarme du Nord. C’est ainsi que les revendications corporatistes de quelques mutins togolais, coïncidèrent avec le désir de carrière de l’officier français. Sylvanus Olympio a trébuché sous les coups de feu d’un soldat mutin de la coloniale. Justice n’a point été faite à l’encontre du quarteron de conjurés ayant fomenté le coup d’Etat. Ces sous-officiers démobilisés par la France, après avoir servi en Algérie, rêvaient de se faire engager dans une nouvelle armée togolaise. Le président Olympio ne voulait pas de ces demi-soldes, ceci pour deux raisons essentielles. La première : de principe, il les trouvait anti-indépendantistes. Ces soldats ont combattu sans état d’âme contre le peuple algérien luttant pour son indépendance. La seconde raison est matérielle : Olympio n’entendait pas créer une armée greveuse de budget. Quel chef d’entreprise raisonnable, est capable d’embaucher pour faire plaisir à quelques compatriotes, qui du reste, pouvaient trouver à s’occuper dans d’autres domaines ? C’est ainsi que se résu-mait sa vision du problème. Pour Olympio, la création d’une armée, était le cadet de ses soucis.
M. Sylvanus Olympio envoyé ad patres, la majeur partie du peuple sous le choc n’a pas bronché. La politique olympienne, aussi bien intérieure qu’internationale, était mal comprise et mal acceptée par la base-même du CUT. La volonté du président Sylva de faire du CUT, une sorte de parti unique, déplaisait. Le blocage des salaires pour rembourser les dettes contractées par la gestion de l’administration française, exaspérait les travailleurs. Néanmoins, il y eut à l’intérieur du pays, quelques manifestations de protestation. De Kpalimé, le bastion du CUT, une partie de la population avait commencé à descendre sur Lomé pour barrer la route aux putschistes. Les meneurs de ce groupe de Kpalimé seront arrêtés.
Un journaliste de la presse française décrivit Eyadéma comme : "Un grand diable noir de vingt-sept ans au visage couturé de balafres rituelles". Eyadéma, c’est l’adjudant-chef, l’ancien sous-off’ des tirailleurs, qui déclare au camp de Tokoin. : "Je l’ai descendu, parce qu’il ne voulait pas avancer".
On ne connaît rien sur la naissance d’Eyadéma. Comi Toulabor dans son livre, le plus complet sur la période pré-Conférence nationale, écrit : "Sa naissance et son enfance sont enveloppées d’un épais voile de mystère qui autorise l’ima-gination populaire à élaborer sa propre biographie du prince qui gouverne" [Toulabor (C.), Le Togo sous Eyadéma, Karthala, Paris, 1986, p. 225.] Eyadéma n’aurait pas connu son père. La bande dessinée, Histoire du Togo ; il était une fois Eyadéma [Histoire du Togo ; il étai une fois Eyadéma, Edit. ABC, Paris, 1976.], mentionne que le père Gnassingbé avait été réquisitionné pour les travaux forcés et sauvagement battu à mort par les troupes coloniales, parce qu’il refusait d’obéir. Répétition troublante de l’histoire, le président Olympio aussi a refusé d’avancer. Il a été abattu, selon la formule militaire consacrée. Maman-N’Danida, la mère d’Eyadéma a bénéficié de son vivant du culte de la personnalité. Il existe des chansons à la gloire de la bonne vieille dame qui a été décorée de la légion d’honneur de l’Ordre du Mono en 1980. Mais pourquoi cette volonté délibérée de passer sous silence le passage de son père sur la terre des aïeux ? Un témoignage de la Conférence nationale (1991), sur les crimes commis à Pya, précise qu’un vieux cantonnier nommé Alfa Wuissi, a été accusé par Eyadéma d’être le responsable de la mort de son père. Eyadéma aurait fait lapider le vieil homme sur la place publique. Contraint de se mettre en tenue d’Adam, "Il fut lapidé, à la demande d’Eyadéma, par la foule rassemblée dont les membres étaient appelés à jeter l’un après l’autre, des cailloux sur ses testicules jusqu’à ce que mort s’ensuive. " [CNDH, GROUPE INITIATIVE, LTDH, Togo : la Stratégie de la terreur, Editeur non mentionné, Paris, 1994, p. 17.] On ne connaît pas de frères ni de sœurs à Eyadéma, excepté un demi-frère, Toyi, officier de son état, tué lors du siège de la Primature en 1991. Eyadéma , littéralement, en langue kabyè, "Les gens sont finis", serait né vers 1936. Il s’engage à dix-huit ans au Dahomey dans l’armée coloniale, à la suite d’un sérieux piston de M. Kléber Dadjo, car Eyadéma aurait un handicap physique au niveau du genou. Il sera envoyé au Viêt-nam, puis en Algérie. Les spécialistes de l’Histoire du Togo n’arrivent pas à expliquer pourquoi en dix ans de carrière militaire (1953-1963), Eyadéma n’a atteint que le grade de sergent-chef, alors que ses compères de l’armée coloniale, tels que Bokassa (Centrafrique), Kérékou (Dahomey), Lamizana (Haute-Volta), Traoré (Mali), étaient revenus de l’armée coloniale française avec des grades d’officiers supérieurs. Au lendemain du putsch de ce 13 janvier, le jeune sergent-chef d’alors, Etienne Eyadéma, s’est vanté d’avoir assassiné le président Olympio. L’absence de jugement des hommes fera insidieusement jurisprudence. Un peu partout sur le continent africain, cet état de fait va susciter des vocations. Dès lors qu’ils disposent d’armes prêtées à eux pour la défense du pays, des militaires africains s’emparent entièrement des rouages de l’Etat et exercent la terreur au quotidien à l’encontre des populations qu’ils sont sensés sécuriser par devoir et de par leur vocation. Depuis ce matin du 13 janvier 1963 jusqu’à nos jours, les exemples sont légion.. La plupart des coups d’Etat seront conduits par des anciens de la coloniale, ayant gardé peu ou prou des liens avec leur ancienne armée. Une armée française qui dispose de renseignements détaillés sur la valeur de ses anciens soldats. Quelques exemples de pronunciamiento sur le Continent : 28 octobre 1963 (Dahomey), 19 juin 1965 (Algérie), 25 novembre 1965 (Congo-Belge), 22 décembre 1965 (Dahomey), 1er janvier 1966 (Centrafrique), 4 janvier 1966 (Haute-Volta), 15 janvier 1966 (Nigeria), 28 novembre 1966 (Burundi), 13 janvier 1967 (Togo), 23 mars 1967 (Sierra Leone), 18 mai 1972 (Madagascar), 15 avril 1974 (Niger), 6 avril 1975 (Tchad), 10 juillet 1978 (Mauritanie), 3 août 1979 (Guinée équatoriale), 4 août 1983 (Haute-Volta)... Des militaires s’empareront du pouvoir en 1996 au Niger et au Burundi, etc. Mais les chefs d’Etats militaires, à quelques exceptions près, ne tiendront pas les engagements à l’égard de leurs concitoyens. Ils se comporteront comme les civils évincés du pouvoir, très souvent, pire.
Eyadéma n’est pas l’homme qui est intervenu sur les ondes pour annoncer au peuple, le nouveau changement politique. Le rôle est dévolu à l’adjudant-chef Bodjollé. Un Comité militaire insurrectionnel de huit membres est mis en place dans l’après-midi du 13 janvier. Il est composé de quatre militaires en fonction dont l’officier Kléber Dadjo et quatre sous-officiers démobilisés dont Emmanuel Bodjollé. Eyadéma ne faisait pas partie du Comité. Mais Eyadéma n’était pas homme à se laisser tenir à l’écart de ce pouvoir tombé pratiquement du ciel. Il ne peut pas se contenter de jouer les seconds rôles. S’il ne se faisait pas entendre au plus tôt, il risquait même de ne pas se faire intégrer dans l’armée togolaise. Ses rapports avec certains plus hauts-gradés des conjurés ne sont pas des plus cordiaux. Ainsi naîtra la revendication de l’assassinat du président Olympio. But probable de cette manœuvre de la part d'Étienne Eyadéma, prouver qu’il existe bel et bien en tant que militaire, et qu’il faudra désormais compter avec lui. Les leaders du groupe prirent en compte les doléances du jeune sergent-chef. Eyadéma est promu lieutenant dans la nouvelle armée. Et puis, la charité bien ordonnée commençant par soi-même, les chefs de la bande eux aussi bénéficient de promotions spectaculaires. Le capitaine Kléber Dadjo devient commandant ; l’adjudant-chef Emmanuel Bodjollé sera capitaine. Reste le pouvoir politique dont ils ont "hérité" au gré des circonstances. Ils ne savent pas trop quoi en faire. D’ailleurs, veulent-ils de ce pouvoir ? Rappelons que le but premier de la rébellion militaire était d’ordre catégoriel.
Le Rassemblement du Peuple Togolais est créé en 1969, après un discours du président Eyadéma au cours d’une visite officielle à Kpalimé (sud du pays). Est-ce par référence ou par déférence à un certain RPF (Rassemblement du Peuple Français) [L’ancêtre du RPR (Rassemblement Pour la République) de J. Chirac.] créé par De Gaulle, un 7 avril 1947 ? Le RPT a la vocation d’éveiller, rassembler tous les Togolais autour de leur "Guide" et "Président-Fondateur", Etienne Eyadéma. Le RPT finira par régir toute la vie du pays. Les membres de son bureau politique sont nommés par Eyadéma lui-même. La Confédération des travailleurs, l’Union nationale des femmes, l’Union nationale des chefs traditionnels, les associations des jeunes, etc., deviennent les unes après les autres : "des ailes marchantes" du RPT. Une cotisation de 100 F CFA par mois sera instituée pour tous les travailleurs. Cette cotisation (entre 1 et 2%) pour les salariés est prélevée directement sur la fiche de paye. Les trois grands thèmes de prédilection du RPT des années 1970-1980 se résument en : "l’union, l’anti-impérialisme et l’authenticité ". Les discours sur "l’union", entend convier les populations du Nord et du Sud à faire bloc autour de l’Armée en général et de son Général en particulier, pour construire la nation togolaise. Naturellement, la population togolaise n’a jamais aimé les militaires, (les sodja, en éwé). Ceci est dû en particulier à leurs comportements insolents frisant parfois le cynisme, à l’égard de la population. En tenue réglementaire ou en civil, (la plupart des soldats non-gradés issus du Nord, faute de moyens, ne disposent que de leur tenue kaki), la raison du militaire togolais est toujours la meilleure. Ce discours sur l’union n’empêchera pas Eyadéma de préférer une tribu, celle dont il est issu au détriment des autres. C’est ainsi que sur les 21 préfectures instituées en 1981, il y en aura 6 en région kabyé (la région d’origine d’Eyadéma). En ce qui concerne l’anti-impérialisme et l’authenticité, ces deux pans de la politique d’Eyadéma vont de pair. Le mot d’ordre de l’anti-impérialisme est né après l’accident d’avion de Sarakawa qui a failli coûter la vie à Eyadéma. Cet accident constituera une véritable aubaine dans l’escarcelle de la stratégie du pouvoir d’Eyadéma, qui à dire vrai, avant le 24 janvier 1974 (date de l’accident), se contentait plutôt de gérer l’ordinaire au quotidien. Le lieu-dit Sarakawa, pour les dirigeants du parti unique, deviendra évocateur de la "victoire" d’Eyadéma sur les "impérialistes français" qui ne songeraient qu’à spolier le peuple togolais de sa richesse : le phosphate. En 1973, le prix du phosphate fait un bond, en général sur le marché mondial. Le 10 janvier 1974, le Président fait part officiellement de son intention de nationaliser. Le 24 janvier, le DC-3 qui transporte Eyadéma et quelques personnalités du monde politique, s’écrase à Sarakawa dans le Nord. Conséquence de la guerre entre Eyadéma et la Compagnie Togolaise des Mines du Bénin (CTMB) ? Au début de l’histoire de la compagnie minière, l’Etat togolais détenait de façon quasi symbolique, 1% du capital de la CTMB. Cette compagnie était chargé de l’exploitation et de la commercialisation des phosphates de Kpémé (Sud du Togo). Un pour cent ? Certes, comme il est de bien entendu, au moment de la conclusion de la convention qui a eu lieu en septembre 1957, entre le Togo et la CTMB, le pays était sous mandat des Nations-unies, avec comme tuteur la France. Ainsi donc en pratique, la conclusion de l’accord, a été pour ainsi dire, une affaire franco-française. Par ailleurs, l’une des clauses de la convention précisait que le Togo ne devait détenir plus de 25% du capital de la CTMB. Mais le 28 novembre 1972, l’Etat togolais rachetait les parts libérées par un actionnaire ayant pour nom , M. Grâce. Le pays portait ainsi sa part à 19,9%. En Afrique d’une façon générale, les années 70 verront la montée des nationalisations. L’Etat togolais décide de porter sa part au capital à 51%. Refus net de l’administrateur délégué de la CTMB. Il se réfère à la Convention. Sur l’insistance du président Eyadéma d’augmenter la participation du pays au capital de la CTMB, M. Max Robert, administrateur, aurait tenté de corrompre Eyadéma en lui proposant des pots de vin : entre 1 et 4 milliards de F CFA. « Non ! », aurait dit le président Eyadéma. Après le crash de Sarakawa, le 24 janvier 1974, le président Eyadéma nationalise tout simplement les minerais de phosphate. L’histoire et la Conférence nationale souveraine (juillet-août 1991) a prouvé, dossiers à l’appui, que le général Eyadéma, son entourage (local ou étranger) et les barons du RPT se sont enrichis grâce à ce minerai. Le phosphate a servi aussi à développer la région de la Kara au détriment des régions sud en général, et de Kpémé (contenant le gisement) en particulier. En 1996, la CTMB sera sur la longue liste des sociétés privatisables. Eyadéma a prôné l’indépendance économique dans les années 70. Les années 1996-1997 constituent l’ère des privatisations ordonnées par les instances économiques internationales.
Les encenseurs et les hagiographes d’Eyadéma découvrent à travers le crash d’un avion, un filon riche en affabulations. La thèse de l’Impérialisme qui chercherait à liquider Eyadéma, pour cause de phosphate, était tout à fait crédible à cette époque pour une grande partie de la population. Les Togolais apprendront bien plus tard, qu’une simple défaillance technique était à l’origine de l’accident. L’avion aurait été surchargé de victuailles et de bonnes bouteilles, dans le but de poursuivre la fête de la Libération (13 janvier), dans le village natal (Pya) du président Eyadéma. Au lendemain du 24 janvier 1974 (date de l’accident), Eyadéma répondra au doux surnom de «Miraculé-de-Sarakawa ». Quant au lieu-dit Sarakawa, il deviendra un lieu de pèlerinage où les fidèles d’Eyadéma et les représentants du parti unique, viendront immoler moutons et autres coqs blancs à même les débris d’un appareil qui fut autrefois un DC-3. Le chercheur, Comi Toulabor, a remarqué une floraison de blanc au mémorial de Sarakawa. Il analyse : «Le blanc, signe de la victoire et de la pureté, purifierait pour de bon, le général E. Eyadéma de son péché originel, le meurtre de S. Olympio, et l’élèverait à la splendeur du monarque de droit divin. » [Toulabor (C.), Le Togo sous Eyadéma, Karthala , Paris, 1986, p. 117.] La quête des attributs de monarque par Eyadéma, se trouve dans divers chants du RPT, notamment dans celui en éwé dont voici le refrain :
N’aie crainte, Président Eyadéma, Dieu t’a coiffé d’une couronne de roi. N’aie crainte, Président Eyadéma, Le peuple est derrière toi.
Au cours de son voyage officiel au Togo en 1972, le président français, M. Georges Pompidou, avait déjà été désagréablement surpris de l’embrigadement politique de la population. «Pompidou retire une mauvaise impression des démonstrations de la jeunesse encadrée, des slogans scandés à la gloire d’Eyadéma, dans lesquels il entend des réminiscences de «Heil Hitler ! » [...] la situation du Togo restera marquée par des manifestations d’autoritarisme fascisant. » [Gaillard (Ph.), Foccart parle 2, Faillard/Jeune Afrique, 1997, p. 156.]. Au-delà de cet accident d’avion, Eyadéma va enfin trouver l’occasion d’asseoir sa politique jusqu’alors sans socle réel. Et le «Retour triomphal» (retour à la capitale, le 2 février 1974, après l’accident), va constituer un des événements les plus médiatisés de l’Histoire du Togo. Etienne Eyadéma mettra près de 24 heures de Pya à Lomé, avec des arrêts dans plusieurs localités pour se soumettre aux rites des libations. L'accueil sur le long du parcours est sincère. Il existe à cette époque une certaine tolérance vis-à-vis de la politique du président Eyadéma. Les détentions arbitraires et les assassinats politiques ne sont pas encore légion sous son régime. C’est en cette période de «victoire sur l’impérialisme» que naît la politique de l’authenticité. En ce qui concerne l’introduction du concept d’authenticité au Togo‚ l’amitié entre le président Eyadéma et son homologue Mobutu du Zaïre, y est pour beaucoup. Ce concept d’authenticité culturelle, consiste, grosso modo, en une recherche de sauvegarde de la culture africaine. Mobutu l’explique : «L’authenticité est une prise de conscience du peuple zaïrois de recourir à ses propres sources, de rechercher les valeurs de ses ancêtres afin d’apprécier celles qui contribuent à son développement harmonieux et naturel. C’est le refus du peuple zaïrois d’épouser aveuglément les idéologies importées. » [S.S. Mobutu, cité par B. Kabué, l’Expérience zaïroise, Paris, Ed. ABC, 1976, p. 203 ; cité par C. Toulabor, Le Togo sous Eyadéma, Karthala, Paris, 1986, p.163.] Pendant qu’il distillait de beaux discours contre les habitudes en provenance de l’étranger, le maréchal Mobutu accumulait et exportait à titre personnel, les biens du Zaïre vers l’Occident. Il y acquérait châteaux et propriétés diverses. «Quatre milliards de dollars accumulés en 32 ans. C’est le bilan de la dictature finissante de Mobutu, dressé, le 12 mai, par le quotidien économique britannique Financial Times [...], le journal dresse la liste de propriétés détenues par ce vieil ami de la France... Le château de Fond Roy, en Belgique, vaut 11,3 millions de dollars, la demeure portugaise Solear Casa Agricola est évaluée à 2,3 millions, celle de Savigny en Suisse, à 5,5 millions et la résidence de Cap-Martin atteindrait les 5,2 millions de dollars. Il y a encore dans cet inventaire, un appartement de 800 m2 au 20 avenue Foch à Paris, [...] En Suisse, de solides comptes en banque, tout comme à Paris, Londres et New-York, dont les montants et les gestionnaires ne sont pas cités. [...] Pendant ce temps, le budget zaïrois pour la santé s’établissait à 20 centimes (français) par habitant. » [Le Canard enchaîné, n° 3994, 14 mai 1997, p. 1.] En ce qui concerne Eyadéma, cette politique de «retour aux sources», cette théorie de l’authenticité demeure dans les années 70, le thème politique principal autour duquel le régime brodera tous ses discours. Dans les faits, cette politique d’authenticité sera traduite par l’abandon des prénoms étrangers au profit de prénoms locaux. C’est aux lendemains de son retour «triomphal» de Sarakawa, que M. Eyadéma prend la décision de troquer son prénom «importé» : Etienne, contre Gnassingbé qui en principe est le nom paternel (de famille). La mue est consommée le 3 février 1974. Sur le papier, «Gnassingbé» prend dorénavant la place de «Etienne». Son «frère et ami» du Zaïre, Joseph Désiré Mobutu, ne s’appelle-t-il pas désormais, authenticité oblige, Mobutu Sese Seko Kuku Ngbengdu Wa Zabanga ? En août de la même année, les hautes personnalités aussi bien civiles que militaires, décideront d’emboîter le pas au «Guide éclairé». Ils laisseront respectivement choir leurs prénoms importés au profit de prénoms locaux. Mais vu l’infime quantité de prénoms disponibles dans les «registres traditionnels» togolais, plusieurs et nombreuses mêmes familles se retrouveront avec un nom et un prénom identique, à l’instar d’un cousin proche ou lointain. Situation difficilement gérable pour l’administration, elle est aussi non digérable pour le citoyen. Action strictement volontaire au début, l’adoption des «prénoms authentiques» deviendra obligatoire en l’an 1976 à l’instigation du ministre de l’Intérieur, Yao K. Eklo. Toute délivrance de passeport, reste désormais subordonnée à la présentation de pièces ne comportant que des prénoms authentiques. Le plus étonnant, c’est de voir les : Amorin, da Costa, Lawson, Wilson, etc., qui avaient respectivement un patronyme originellement étranger, être obligés de cumuler leur nom à consonance étrangère avec des prénoms d’origine togolaise. « Mieux encore, les défunts, tels que le footballeur Edmond Apéti dit Kaolo et la star de la chanson Bella Bellow, sont amenés à recouvrer des prénoms authentiques dans leur tombe.» [Toulabor (C.), Le Togo sous Eyadéma, Karthala, Paris, 1986, p. 174.]
L’optique d’authentification touchera aussi le nom des villes. Certaines, comme Anécho (au Sud) et Dapango (au Nord), deviendront respectivement Aného et Dapaong. Nombre de Togolais, notamment les prêtres Dovi et Amouzou sont critiques à l’égard de cette décision de changement de prénoms, qui force les fidèles à abandonner leur prénom de baptême. En tout état de cause, mis à part le cas singulier de l’ex-archevêque de Lomé, Mgr Dosseh vite tombé sous le charme de Gnassingbé Eyadéma, l’Eglise catholique du Togo a toujours lutté insidieusement contre le pouvoir dictatorial. Les Loméens ont encore en mémoire, le sacre de l’Evêque d’Atakpamé, Mgr Kpodzro, qui avait été désigné par les instances catholiques pour remplacer un autre frondeur, l’Evêque Atakpa, d’Atakpamé, décédé. Eyadéma quant à lui voulait imposer son propre candidat. Refus de l’Eglise. Pour punir ce monde, le Général décide de passer à tabac tout le clergé lors de la cérémonie, le 23 mai 1976. Mais la manœuvre échoue grâce à Mgr Gbikpi alors curé. Dans son ouvrage, à ce propos, M. Comi Toulabor va plus loin : «Pris à son propre piège, et pour faire preuve de d’innocence, le pouvoir envoya des militaires garder les paroisses. C’est là une des ruses de guerre du général Eyadéma : initier la répression tout en se mettant en retrait par rapport à elle pour sauvegarder une face souriante de Janus, négociable sur le marché international » [Toulabor (C.), Le Togo sous Eyadéma, Karthala, Paris, 1986, p. 190.] Ces remarques faites par M. Comi Toulabor dès 1986, se confirmeront par la suite, lorsque le général Eyadéma enverra ses éléments incontrôlés à l’assaut du processus de la transition démocratique en 1991.
Dans le cadre de la politique d’authenticité, Mobutu avait institué dans son pays, «l’animation politique» ; une sorte de combinaison de chants et de danses vantant les mérites du chef et du parti unique. L’animation, sera introduite au Togo lors de la visite du Président zaïrois en 1972. Dans le contexte togolais, Comi Toulabor définit l’animation comme : «Une grande messe régulièrement organisée à coup de slogans, de chansons, de danses, de banderoles et de marches de soutien au «Miraculé de Sarakawa » pour célébrer les bienfaits de sa politique pour le peuple, ses qualités exceptionnelles et son intrépide courage dans la nationalisation des phosphates de la CTMB. » [Toulabor (C.), Le Togo sous Eyadéma, Karthala, Paris, 1986, p. 198.]
Ces chants et danses con moto à son endroit, et les relations diplomatiques et d’amitiés naissantes entre le Togo et la Corée du nord en 1974, vont parfaire la déification de Gnassingbé Eyadéma. Pyong Yang érigera des statues colossales de bronze à la gloire du «Timonier national», construira des portraits géants, fabriquera montres et macarons à l’effigie d’Eyadéma ; tournera un film : Le Togo en marche toujours avec Eyadéma , vantant les mérites de ce dernier. C’est ainsi que le «timonier national préalablement exorcisé de sa médiocrité par les pouvoirs médiumniques des chants et des danses », sentira peu à peu grandir sa puissance au plan national et au niveau international. Au plan national, à partir des années 1974, nul, y compris son propre entourage, n’osera le défier par une quelconque critique. Au cours de la même période, il commence à prendre quelque liberté avec le budget national et les aides au développement. En 1979, Eyadéma aurait confié à Nutépé Bonin (ex-conseiller en communication d’Eyadéma), qu’il ne possédait que 90 milliards de F CFA. Plus du budget togolais de l’époque. La torture et l’élimination physique commencent pratiquement à la même période que les détournements de fonds publics. La torture, l’armée en est le maître d’œuvre. En juillet 1975, le commandant Comlan, jeune et brillant officier, trouve la mort après d’atroces sévices. En désaccord avec Eyadéma, ce dernier aurait participé personnellement à la séance de torture de l’officier. D’autres mises à mort sans procès suivront. En 1977, le lieutenant Gnéhou (beau-frère d’Eyadéma) est mitraillé en pleine rue. Il sera transporté à l’hôpital de Tokoin, où il sera achevé nuitamment par un commando. Son seul tort est d’avoir organisé une réunion des officiers du Nord, à l’insu du général Eyadéma. Les assassinats politiques ne se limitent pas à l’élite militaire et civile. La mort par la torture militaire rôde dans tous les milieux sociaux. Les tracas débutent souvent par délation, alimentée par tout un réseau officiel (celui des animateurs du RPT), ou d’éléments occasionnels opérant pour une récompense matérielle. C’est dans le cadre d’une telle répression, que M. Pascal Agbessie, un chargé d’affaires de l’ambassade du Togo au Gabon, est ramené manu militari à Lomé en 1979 et enfermé, puis torturé à la gendarmerie. Motif : il avait un brouillon d’article mettant en cause la mauvaise gestion de leur pays par les responsables africains. Après près de deux années de prison, faites de tortures et de brimades, il aura la vie sauve grâce à l’intervention d’Amnesty International. La Conférence nationale souveraine fera plusieurs révélations dans le cadre des embastillements sans jugement. La CNS fera aussi état des diverses expropriations commises par Eyadéma pour la construction de sa propre résidence, ou pour agrandir les réserves d’animaux sauvages. Ainsi en 1981, dans le but d’étendre la réserve de la Kéran dans l’Oti, un commando de paras brûlera cases et bétail, afin de déloger les autochtones des lieux. Ceci sans dédommagement aucun. Nonobstant son impopularité croissante dans le pays, pour cause de détentions arbitraires, d’assassinats politiques, de gabegie, de détournement de femme d’autrui, Eyadéma va tenter de s’imposer en tant que médiateur de certains conflits. Il propose ses «Bons offices». Déjà en 1968, l’OCAM (Organisation Commune Africaine et Malgache) lui aurait confié une mission de réconciliation entre le Zaïre et le Congo. A ce sujet, Comi. Toulabor doute : «Il est peu probable que l’OCAM ait désigné l’inculte sergent-chef Eyadéma arrivé au pouvoir en 1967 et peu expérimenté donc. En tout cas à l’époque, il parlait trop mal le français pour que l’OCAM lui confiât une quelconque mission de paix. » [Toulabor (C.), Le Togo sous Eyadéma, Karthala, Paris, 1986, p. 158.] Entre 1972 et 1976, Gnassingbé Eyadéma aurait œuvré pour le rapprochement du président nigerian Gowon, avec ceux du Gabon (Bongo) et de la Côte-d’Ivoire (Houphouët-Boigny). Libreville et Abidjan avaient eu le tort aux yeux du général Gowon, d’avoir soutenu la cause biafraise. En janvier 1975, une commission de réconciliation tient sa réunion finale à Lomé‚ en vue de mettre fin au conflit frontalier entre le Mali et la Haute-Volta. En 1978, un autre président africain, Sékou Touré (Guinée), aurait aussi bénéficié de la médiation de Gnassingbé Eyadéma dans le cadre d’une querelle entre la Guinée et ses voisins (Sénégal et Côte-d'Ivoire). Selon l’entourage d’Eyadéma, ce dernier rêvait d'un prix Nobel de la Paix lorsque dans les années 1980, il franchit le Chari en pirogue pour débarquer à N’Djaména, afin de trouver remède à la crise opposant les deux frères-ennemis du Tchad, Hissen Habré et Goukouni Weddeye.
Après la transition togolaise ratée, Eyadéma aura plus que jamais besoin de servir dans de «Bons offices» pour redorer son blason terni par les massacres perpétrés par ses hommes sur le plan intérieur : c’est le cas au cours du conflit de Bakassi entre le Cameroun et le Nigeria. En mars 1997 à Lomé, en marge de la réunion extraordinaire sur le Zaïre, Eyadéma forcera Abatcha et Biya à se serrer la main devant les caméras. Eyadéma va s’illustrer dans le conflit du Zaïre entre Kabila et Mobutu. Il subira même l’affront de se voir refouler quand l’Afrique du sud décide de prendre le problème en main, après l’échec de la réunion de Lomé. En définitive, le général Eyadéma ne réglera véritablement aucun de ces conflits de façon durable. Mais pour lui, l’essentiel est d’abord de participer à la recherche de solutions, en vue de parfaire son image d’«homme de paix» ; une image dont il ne dispose pas à l’intérieur de son propre pays.
Au plan intérieur, Eyadéma va bientôt devoir faire face à de sérieux problèmes économiques. L’embellie des phosphates n’a duré qu’un temps, à peine une décennie. Ses recettes ont servi à construire des hôtels, quelques «éléphants blancs», et à bâtir hôpitaux et routes dans la région de Kara. En 1980, la somme destinée à l’investissement public a chuté de 100 à 40 milliards de F CFA. Les intérêts de la dette à eux seuls suffisaient à grever le budget togolais. En 1983, la dette du pays s’élevait à 314 milliards de F CFA.
Au plan strictement politique, les événements viennent, si besoin en est, démontrer que tous les Togolais n’étaient point debout comme un seul homme derrière «Le Guide bien-aimé». En 1985, des charges-plastics tonnent à Lomé. Entre le 23 et le 25 septembre 1986, un putsch a failli renverser Eyadéma. Ce dernier fera appel au Zaïre et à la France. Mais les combats cesseront avant l’arrivée des troupes «alliées» du Togo. Ce complot, comme celui de 1977, est attribué aux fils expatriés de l’ancien président Olympio. Mais hélas pour Gnassingbé Eyadéma, la contestation ne se limitait pas seulement aux Olympio. A l’intérieur du pays, la contestation est latente, tandis qu’à l’extérieur du Togo, les expatriés tentent de s’organiser contre l’autocratie d’Eyadéma.. La plupart des organisations sont basées à Paris. On y retrouve pêle-mêle : le MTD (Mouvement Togolais pour la Démocratie) ; le PCT (Parti Communiste Togolais) ; le FDLT (Front Démocratique pour la Libération du Togo) ; le MNRT (Mouvement National pour la Révolution Togolaise) ; le PPDD (Parti Populaire pour la Démocratie et le Développement). Certains, comme le MTD, constituent un conglomérat de nostalgiques, non seulement de S. Olympio, mais aussi de personnalités ayant servi le pouvoir d’Eyadéma, avant de tomber en disgrâce. La plupart de ces partis regroupe à peine quelques dizaines de militants. Ils ne disposent en général que de petits moyens leur permettant de s’offrir, pour quelques uns d’entre eux, un périodique en vue de la diffusion de leurs idées. L’organe Ablodé (Indépendance en éwé) du FDLT, paraît occasionnellement. Les tapages médiatiques orchestrés par ces groupuscules, ne réussiront pas à égratigner le régime Eyadéma. Les gouvernements français de gauche comme de droite le savent. Ils laissent peu ou prou s’agiter ces expatriés. Seul le vent de démocratie venant de l’Est de l’Europe va contribuer à faire bouger un peu la dictature éyadémiesque. A Bucarest, le dictateur roumain est chahuté par son peuple un jour de décembre 1989. Quelques jours plus tard, le régime de Nicolas Ceausescu est balayé par le vent de la Révolution roumaine. Le vent de l’Est va aussi balayer certains régimes dictatoriaux africains, comme le pouvoir marxiste de Mathieu Kérékou au Bénin. La France de François Mitterrand tente d’accompagner ce bouleversement politique mondial. Il prendra le train du changement en marche. M. Alain Duhamel, journaliste français, écrivait à propos du général De Gaulle et de la décolonisation. : «Là encore, il s’agissait de réussir une retraite. Là encore, le style du personnage empêchait qu’elle ne fût ressentie comme une débandade. » [Duhamel (A.), De Gaulle/Mitterrand–La marque et la trace, Flammarion, Paris, 1990, p. 73.] A la conférence franco-africaine de La Baule (juin 1989), le président Mitterrand invite ses homologues africains à plus de démocratie. Il conclut son discours en décrétant en substance : «La France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté. » Le général Eyadéma, avec d’autres chefs d’Etat, sont rentrés fâchés des recommandations de démocratisation émises par M. Mitterrand. Les peuples africains, quant à eux, accueillant favorablement les paroles du Président français, le prennent au mot. Ils accélèrent leurs revendications de liberté et de démocratie. A Bamako, le dictateur Moussa Traoré, à la tête depuis deux décennies, d’un régime corrompu, déclare : «Je ne démissionnerai pas, j’ai été élu par le peuple malien. ! ». Il sera destitué par le peuple malien. Au Togo, Gnassingbé Eyadéma va tenter, contraint et forcé par le nouvel environnement international, d’accorder quelques semblants de liberté. Il va tolérer la création d’une Ligue des Droits de l’Homme. Mais, le 5 octobre 1990, de jeunes distributeurs de tracts sont condamnés par le Tribunal correctionnel de Lomé. Les étudiants manifestent contre les forces de l’ordre. C’est le début de la fronde des jeunes et des soucis pour Eyadéma. Il envoie son armée rétablir l’ordre.
Suite: L'armée d'Eyadema face à la révolte
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