Modifié le 28-06-11 à 14:45
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Avoir du courant au Sénégal est de plus en plus difficile. Pourquoi le président ne réagit pas aux violentes manifestations ?
Sélectionné et édité par Melissa Bounoua
Temps de lecture : 3 minutes
Dans quelle démocratie pourrions-nous voir un pays s'embraser littéralement, des milliers de personnes descendre dans la rue, manifester, exiger leurs droits, voir des émeutes éclater un peu partout, parfois avec violences, et le président rester non seulement sourd, mais également muet face à son peuple ?
C'est pourtant ce qui se passe actuellement au Sénégal où malgré les violentes manifestations du 23 juin qui exigeaient (et ont obtenu) le retrait du projet de loi qui visait à modifier la constitution sénégalaise, et celles d'hier pour protester contre les délestages qui privent la majorité des sénégalais d'électricité, pour le moment, Abdoulaye Wade n'a toujours pas pris la peine de s'adresser à son peuple et de répondre à ses plaintes et à ses craintes.
A son accession au pouvoir, Abdoulaye Wade a fait un mauvais choix, celui de ne pas privatiser la compagnie d'électricité sénégalaise, alors même qu'à l'époque les canadiens (Elio - Hydro Quebec) étaient sur les rangs. Les conséquences de ce choix sont lourdes, l'électricité du Sénégal est l'une des plus chères d'Afrique de L'ouest, encore plus même que le prix du Kw/heure au Mali, pays pourtant enclavé, et la compagnie est en ruines.
La Senelec, compagnie nationale, que d'aucuns jugent être une "tirelire géante" ne fait plus face à ses créanciers, ses installations sont obsolètes, sa gestion calamiteuse et malgré les promesses de son ministre, Karim Wade, fils du Président, les tarifs ne baissent pas, mais surtout, l'électricité n'est pas fournie de manière correcte.
Actuellement, ce sont des coupures quotidiennes de 10 à parfois 20 heures et plus qui paralysent totalement l'activité économique du pays, certaines villes n'ont pas de courant durant plusieurs jours d'affilé.
Si les grosses sociétés peuvent pallier par des groupes électrogènes, toute la petite économie, elle, est à la peine. Tailleurs, soudeurs, mécaniciens, peintres, cybercafés, boulangers, épiciers, tous ces petits commerces et artisans sont autant de personnes qui en temps normal ont déjà du mal à trouver de quoi manger et qui du fait de leur outil de travail bloqué, ne gagnent aujourd'hui même plus le minimum vital.
Des générations entières de jeunes sénégalais ne savent même pas ce que c'est qu'un quotidien avec du courant, ils n'imaginent même pas ce que c'est que de pouvoir se projeter, travailler en toute sérénité, sans s'inquiéter de voir sa machine s'arrêter en plein ouvrage. Ils ont grandi avec ces délestages et ces pénuries, si ce n'est que la situation est encore pire aujourd'hui qu'auparavant et devenue de fait, totalement insupportable.
Il est d'autant plus indécent pour eux de voir la capitale surmontée par la statue gigantesque du Président, éclairée toutes les nuits comme un sapin de Noël tandis que les quartiers, eux, sont plongés dans le noir, statue qui était même lundi soir protégée par l'armée.
Lundi donc, les Sénégalais sont à nouveau descendus dans la rue pour dire leur colère, des établissements de la Senelec ont été saccagés, ainsi que quelques établissements publics, et ils se sont affrontés avec les forces de l'ordre, tout comme jeudi dernier.
Des manifestations populaires spontanées, guidées par la faim, la colère mais absolument pas par les partis politiques, l'opposition ou les religieux. Et malgré ce jeudi, malgré hier, à cette heure, toujours aucune réaction officielle du Président de la République.
Il n'a pas pris la parole, n'a pas fait parvenir de communiqué officiel, ne s'est pas adressé à la nation pour répondre à des questions concernant sa candidature à un troisième mandat malgré la constitution sénégalaise qui l'interdit, mais surtout pour répondre à la souffrance de ces concitoyens, face à un quotidien de plus en plus difficile.
Certains propos de Abdoulaye Wade sont rapportés, inquiétants, effrayants même qui parlent de rendre les coups, ou encore de s'obstiner dans ses projets de candidature.
On rapporte son orgueil démesuré, sa rage, sa frustration de voir la même jeunesse qui l'a placée sur son fauteuil présidentiel se détourner de lui. Mais tout cela n'est que "on dit", aucune réaction officielle de Wade n'est venue éclairer la population sur ses décisions. Un mutisme inquiétant, une posture de repli de la part d'un président qui signe la rupture avec son peuple.
Plutôt que de lui répondre, le président consulte les imams ou les éminences grises, réunit les conseillers, appelle les alliés, tire des plans sur la comète, mais ne propose aucune réponse, aucune mesure qui pourrait calmer un peu la fureur des populations sénégalaises.
Abdoulaye Wade n'écoute pas, semble t-il, la rue, qui lui demande de renoncer à un troisième mandat, mais surtout il n'entend pas sa colère et sa souffrance quotidienne. Avec le risque, à jouer ainsi au sourd muet, que cette colère n'enfle encore, et qu'elle se propage de ville en ville, pour finir par embraser le pays tout entier. Un silence bien coupable.
Auteur parrainé par Aude Baron