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Aujourd'hui  -  Le Temps.ch, mercredi 5 décembre 2012  -  Vu 5 fois

Kivu: la population toujours prise en étau

Ballotté par les avancées puis le retrait des rebelles du M23, le petit peuple autour de Goma est condamné au va-et-vient entre villages et camps de réfugiés. Et cela dure depuis vingt ans…

Quand il essaie de retracer l’histoire de ses fuites devant la guerre, Jean-Paul Hakiza s’emmêle un peu dans les dates. Rien de plus compréhensible. Cela fait tant d’années que, chez lui, dans les collines de l’est de la République démocratique du Congo (RDC), le retour des rébellions signifie de nouveaux départs sur les routes.

La peur des exactions, les marches harassantes, les efforts pour organiser sa vie dans les camps, voilà le cauchemar au quotidien des habitants des collines fertiles du Kivu, région de l’est du Congo, frontalière de l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi. Il y avait déjà 800 000 personnes déplacées dans l’est avant la dernière offensive en date de la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23), commencée le 15 novembre. Avec les récents combats, et la prise de Goma, en voici plus de 130 000 supplémentaires dans les camps, selon les dernières estimations. Eau, nourriture, tout doit être distribué d’urgence. Pour les ONG ou le Programme alimentaire mondial, c’est la course contre la montre. Pour les habitants, c’est la persistance d’un long calvaire.

A ses débuts, le M23 semblait être la répétition, en modèle réduit, d’un phénomène rebelle vieux de vingt ans. Dans le Kivu, il y avait déjà eu des affrontements dans les années 1990, avant qu’y démarrent la première guerre du Congo, en 1996, puis la seconde, de 1998 à 2003, toujours «inaugurée» par la prise de Goma. Avait suivi la rébellion du CNDP – le mouvement politico-militaire du charismatique général Nkunda –, en 2008, qui s’était arrêtée aux portes de la ville, et enfin celle du M23, qui l’a prise, et tenue pendant onze jours, avant d’opérer un retrait, à la demande des chefs d’Etat de la région, samedi dernier.

Pour un temps, la peur de voir la région s’embraser de nouveau est momentanément calmée. Jusqu’à quand? En attendant la réponse, Jean-Paul Hakiza se perd dans le décompte du nombre de fois où il lui a fallu quitter son village de Rugari pour marcher vers Goma, afin d’échapper aux hommes en uniforme, toutes tendances confondues. Dans le désarroi congolais, se glisser dans un treillis, c’est s’arroger le droit de violer, d’extorquer et de traiter les civils comme du bétail.
Monusco impuissante 

Lors de l’offensive, Jean-Paul Hakiza et sa famille ont fui en toute hâte un premier camp, aux portes de Goma, vers un deuxième, plus éloigné. La proximité de la capitale régionale n’aura pas constitué une protection, malgré la présence des Casques bleus. La Mission de l’ONU pour la stabilisation en RDC (Monusco) est dotée d’un mandat de protection des civils qui autorise le recours à la force. Mais, de toute évidence, elle n’est pas au Congo pour y faire la guerre. Elle ne peut qu’appuyer l’armée congolaise. Et, aux premiers coups de feu, beaucoup de ses contingents s’enferment dans leurs camps.

Lors de la rupture de la trêve entre l’armée et le M23, le 15 novembre, la Monusco était aux côtés de l’armée. Des officiers de l’ONU se trouvaient même au sol, parmi les forces loyalistes. Mais la percée des rebelles a entraîné une déroute des loyalistes, laissant les Casques bleus seuls face au M23. Restaient les tirs de roquettes depuis les quatre hélicoptères de la Monusco, symboliques puisqu’ils ne visent pas les rebelles au sol. «On a fait de beaux tirs dans les carrières de sable», commente, abattue, une source onusienne.

La Monusco pourrait-elle interpréter son mandat au point d’engager des combats frontaux avec les rebelles? Une telle décision serait du ressort des capitales, des pays contributeurs et du Conseil de sécurité. «Je sais, nous allons être les boucs émissaires, on va tout nous reprocher, s’agace une autre source onusienne de Goma, comme, par exemple, d’être beaucoup trop statiques. Mais il ne faut pas se mentir: on ne peut pas décider ici, tout seuls, d’engager des Casques bleus dans une guerre.»

Peut-être cette réflexion aurait-elle gagné à être menée plus tôt? Pour cela, le temps n’a pas manqué. L’apparition et le développement du M23 se sont faits en plusieurs phases. En avril, une mutinerie avait lieu. Peu à peu, elle se muait en rébellion, menée par d’ex-rebelles du CNDP qui avaient été intégrés dans l’armée après un accord de paix en 2009. Certains de ces rebelles étaient des vétérans des groupes armés parrainés par le Rwanda voisin, notamment dans la seconde guerre du Congo. Il y avait donc une filiation, de rébellion en rébellion, dans les différentes phases de guerre dans la région. Et un rôle de soutien du Rwanda, mis en évidence par des rapports des Nations unies, ainsi que de l’Ouganda.
En 1996, puis en 1998, la chute de Goma avait marqué le début de deux guerres régionales, impliquant jusqu’à une dizaine de pays. En 2012, la rébellion est plus locale. Les ex-rebelles, intégrés dans l’armée régulière trois ans plus tôt, se sont heurtés à une tentative de Kinshasa de disperser leurs hommes dans des unités à travers tout le pays. Ceux de l’ethnie tutsie affirment vouloir rester dans la région pour y protéger les membres de leur groupe.

Depuis les années 1990, les tensions ethniques ont sans cesse été manipulées à des fins politiques dans la région. De bonnes sources relèvent que ce n’est pas la seule cause des conflits. Dans l’est du pays s’est développée une mafia d’hommes d’affaires, liée à l’exploitation des minerais, qui permet aux militaires de tous bords de les exporter. Enfin, le Congo traverse une crise politique depuis les élections calamiteuses qui ont eu lieu il y a tout juste un an et ont permis au président Kabila d’être réélu dans un climat de fraudes. Le pays est donc aux aguets pour voir jusqu’où iront les rebelles de l’est.

Avec le retrait du M23 de Goma, la tension est descendue d’un cran. Déjà, les populations du Nord-Kivu se remettent en marche. Certains rentrent chez eux, avec femmes, enfants et maigres possessions, espérant reprendre leurs activités. Si la trêve persiste, les camps pourraient en partie se vider, même si le nombre de résidents y augmente avec le temps. Aux abords des camps, des maisonnettes se construisent, transformant le provisoire en permanent. L’avenir reste toujours aussi incertain. 

U Kinshasa a annoncé mardi l’ouverture imminente, à Kampala, d’un «dialogue» avec le M23, alors que les experts de l’ONU ont renouvelé de graves accusations de soutien aux rebelles contre le Rwanda et l’Ouganda. 

Jean-Philippe Rémy goma 

05.12.2012
 
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