Floribert Chebeya, défenseur congolais des droits humains, a été retrouvé mort mardi alors qu'il s'apprêtait à jouer les trouble-fête lors des célébrations du cinquantenaire de l'indépendance de la RD Congo, prévues le 30 juin 2010.
Par Arnaud ZAJTMAN (texte)
Ces derniers jours, Floribert Chebeya avait fait fabriquer des calicots et des banderoles exigeant une amnistie pour les 51 détenus politiques condamnés dans l'assassinat de Laurent-Désiré Kabila, le père de l'actuel président Joseph Kabila, tué à Kinshasa le 16 janvier 2001, a-t-on appris auprès de ses proches. Au mois d’avril, ce défenseur congolais des droits humains avait également organisé une réunion avec les familles des détenus, à laquelle FRANCE 24 avait été conviée.
Le rapport de Human Right Watch sur cet assasinat
Parmi les détenus, contactés au Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa, plus communément appelé prison de Makala, c'est la consternation. "Nous sommes sous le choc, Floribert tenait notre dossier à cœur", nous affirme l'un d'eux.
Le garde du corps qui avait vraisemblablement tué Laurent-Désiré Kabila dans son bureau, le 16 janvier 2001, fut exécuté immédiatement après par l'aide de camp du chef assassiné, rendant difficile l’enquête censée faire sur cette affaire. Qu'à cela ne tienne, à l’issue d'un procès qui ne permit pas d’élucider les circonstances de l'assassinat, la Cour d'ordre militaire avait condamné à de lourdes peines de prison près de 60 membres de l'entourage du numéro un congolais pour "participation au complot de l'assassinat de chef de l'Etat". "Le procès n'est pas terminé", avait alors conclu le juge. Des mots qui sonnaient comme des excuses.
"Mascarade"
Lors du rendu du verdict, en janvier 2003, la Cour d'ordre militaire était techniquement déjà dissoute par l'entrée en vigueur d'un accord de paix signé en Afrique du Sud en 2002 entre les belligérants congolais. Les organisations de droits humains, nationales comme internationales, avaient qualifié le procès de "mascarade".
Depuis lors, le procès n'a jamais été rouvert. Quelque 51 détenus, dont 19 n'étaient même pas en République démocratique du Congo (RDC) le jour de l'assassinat, croupissent dans la prison de Makala. Ces prisonniers ont toujours été exclus des lois d'amnistie votées au Congo afin de sceller la réconciliation dans un pays divisé par des années de guerre.
Pour beaucoup, le jeune Joseph Kabila avait besoin de faire croire qu'il avait trouvé les assassins de son père afin d'asseoir son pouvoir. "Il était difficile de trouver les véritables coupables, alors ce sont eux qui ont porté le chapeau", a indiqué l'ancien vice-président congolais Abdoullaye Yerodia, frère d'arme de Laurent-Désiré Kabila.
"C'est tout cela qui est terrible. On a le sentiment d'une profonde injustice", nous avait déclaré Chebeya lors d'un entretien accordé au début d’avril.
Le 16 janvier 2010, comme lors de chaque anniversaire de l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, la Voix des sans-voix (VSV), l’association de Floribert Chebeya s’était fendue d’un communiqué. Cette fois-ci, elle demandait au Parlement congolais "une loi d’amnistie impartiale" dont pourraient jouir les condamnés et au Conseil de sécurité des Nations unies "la mise sur pied d’une enquête internationale" similaire à celle qui a été mise en place après l’assassinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri. Un mois plus tard, en février 2010, Chebeya écrivait à John Numbi, chef de la police et homme de confiance du président congolais, pour lui demander l’amélioration des conditions de détention des prisonniers.
Chebeya a-t-il été reçu par le chef de la police ?
En guise de réponse, Chebeya reçut la visite, le 31 mai dernier, d’un certain commandant Michel qui l’invitait à rencontrer Numbi dès le lendemain. "C'est une lettre datée du mois de février dans laquelle Chebeya demandait l'humanisation des conditions de détention dans la prison centrale de Kinshasa, dont le général Numbi a accusée réception, qui servit d'invitation à la rencontre", explique ce responsable de la VSV.
Une semaine plut tôt, c'est le général Banza, chef de la Garde républicaine, une unité de l'armée directement placée sous les ordres de Joseph Kabila, qui avait cherché à rencontrer Chebeya, affirme l’un de ses proches. Les tentatives pour joindre John Numbi ont été vaines. "Son agenda est très chargé", explique son conseiller en communication, Christophe Mukalay Mulongo, qui assure que Floribert Chebeya n'a "pas été reçu par l'inspecteur général de la police John Numbi".
Selon ce conseiller en communication, Chebeya n'a "jamais été convoqué par Numbi [...] Le jour où Chebeya a disparu, le général Numbi était en réunion avec le ministre de l'Intérieur à l'extérieur de la ville afin de préparer les manifestations du 30-Juin. Il n'a donc pas pu le recevoir."
Malgré l'assassinat d'un des défenseurs des droits de l'Homme les plus en vue en RDC, ses camarades et les familles des 51 détenus, tous mal jugés, et innocents pour la plupart, espèrent une issue heureuse. "Que Kabila profite du 30-Juin pour amnistier les personnes condamnées injustement dans l'assassinat de son père, ce sera un hommage posthume à Floribert Chebeya, et là on aura peut-être le cœur à la fête", conclut un des membres de la VSV