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Sarkozy et la Libye : si vous n'avez rien suivi

Le Monde.fr | • Mis à jour le

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Mouammar Kadhafi accueille Nicolas Sarkozy lors de son arrivée à Tripoli, le 25 juillet 2007.

Nouveau front judiciaire pour Nicolas Sarkozy : une information judiciaire contre X a été ouverte, vendredi 19 avril, pour "corruption active et passive", "trafic d'influence", "faux et usage de faux","abus de biens sociaux", "blanchiment, complicité et recel de ces délits", dans le cadre des soupçons de financements libyens pour la campagne 2007 de l'ex-chef de l'Etat.

Cette information judiciaire fait suite à des témoignages de Ziad Takieddine, le fameux homme d'affaire franco-libanais déjà au cœur de l'affaire de Karachi. Cette troisième affaire touchant Nicolas Sarkozy, également alimentée par les révélations du site Mediapart, porte, comme l'affaire Bettencourt, sur les modalités de financement de sa campagne de 2007. Et il n'est pas toujours évident, lorsqu'on ne suit pas de très près les développements, de s'y retrouver. Quelques éléments pour mieux comprendre.

 1/ Quels sont les soupçons dans cette affaire ?

L'affaire éclate fin juillet 2011, à la suite des dépositions faites auprès du juge Van Ruymbeke par Ziad Takieddine. Ce dernier a été arrêté au Bourget le 5 mars 2011 avec 1,5 million d'euros en espèces dans une valise. En juillet, Mediapart publie un document évoquant le rôle joué par Claude Guéant, ancien secrétaire général de l'Elysée (et alors ministre de l'intérieur). Entre 2005 et 2007, celui qui est alors le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur se rend plusieurs fois en Libye pour y rencontrer de hauts dignitaires du régime de Mouammar Kadhafi. Le site publie des courriers, dont certains écrits par Nicolas Sarkozy ou Claude Guéant à différents responsables libyens, et évoque notamment la vente de prestations de services de "guerre électronique" d'une société française (i2e, future Amesys) à Tripoli.

Lire : Guéant et Sarkozy mis en cause pour des contrats avec la Libye en 2007

Ces courriers sont étonnants, notamment parce qu'entre 2005 et 2007, la Libye est isolée, et la plupart des pays occidentaux supposés respecter une forme de blocus en évitant de commercer avec ce pays. C'est grâce à la France que M. Kadhafi connaît un retour en grâce : à la suite de la médiation de Nicolas Sarkozy, et à une visite sur place de Cécilia Attias (alors épouse du chef de l'Etat), le dictateur libyen accepte de libérer des infirmières bulgares torturées et emprisonnées depuis des années en Libye – officiellement sans contrepartie. M. Kadhafi sera également reçu en France avec tous les honneurs fin 2007. Les documents de Mediapart montrent que la France a bien mis en place des négociations avec la Libye, notamment sur du nucléaire civil, qui ont pu jouer dans la libération des infirmières.

2/ Accusations libyennes et rôle trouble de Takieddine

En mars 2011, la France entre en guerre contre la Libye, afin d'aider sa population à mettre à bas Kadhafi. En retard dans les "printemps arabes", Paris veut se rattraper, et Nicolas Sarkozy, poussé notamment par Bernard Henri-Lévy, engage l'armée française pour renverser Kadhafi. C'est dans ce contexte que le fils du dictateur libyen lance une première accusation : "Il faut que Sarkozy rende l'argent qu'il a accepté de la Libye pour financer sa campagne électorale." En pleine guerre, la phrase n'est pas prise très au sérieux en France.

A l'été 2011, Takieddine revient dans l'actualité. Les documents de Mediapart proviennent d'un stock – que s'est procuré le site – qui appartient au fameux intermédiaire et marchand d'armes. Ils sont riches de révélations multiples sur les accointances de plusieurs personnalités de droite avec ce sulfureux personnage. Une série de photos montre ainsi Brice Hortefeux et Jean-François Copé en vacances avec le marchand d'armes.

Lire : Ziad Takieddine, l'embarrasant ami du clan Sarkozy

Lire : Les liens entre Copé et Takieddine pointés du doigt

Or, M. Takieddine semble avoir joué un rôle clé d'intermédiaire avec le régime libyen, non seulement pour le compte de Nicolas Sarkozy, mais aussi pour de grandes entreprises françaises, dont Total.

3/ L'accusation de Mediapart, les démentis de Sarkozy

L'affaire de financement proprement dit n'éclate qu'en mars 2012. Poursuivant son travail à partir des documents de Ziad Takieddine, Mediapart affirme, en mars 2012, que Mouammar Kadhafi aurait financé la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Le site produit un document qui vient corroborer les déclarations de Seif-al-Islam Kadhafi. Emanant de Moussa Koussa, ancien chef des renseignements extérieurs libyens, elle évoque un "accord de principe" pour "appuyer la campagne électorale du candidat [à l'élection présidentielle] M. Nicolas Sarkozy, pour un montant d'une valeur de 50 millions d'euros".

Lire : Une note évoque un soutien libyen à Sarkozy en 2007

La somme est énorme, supérieure au plafond des dépenses de campagne pour 2007 (18,5 millions d'euros). La note aurait été rédigée à la suite d'une réunion, à l'automne 2006, entre Abdallah Senoussi, beau-frère de Mouammar Kadhafi, Bachir Saleh, bras droit du "Guide" libyen, Brice Hortefeux, alors ministre délégué aux collectivités locales, et l'homme d'affaires Ziad Takieddine.

Les protagonistes démentent vigoureusement. Moussa Koussa parle "'d'histoires falsifiées", Bachir Saleh assure "n'avoir jamais été destinataire d'un tel document" et le juge faux, et Nicolas Sarkozy porte plainte contre Mediapart pour "faux et usage de faux" et "publication de fausses nouvelles". Le 19 avril, la justice ouvre une enquête.

Lire : Nicolas Sarkozy veut porter plainte contre Mediapart

4/ Confirmation libyenne

Mais si certains protagonistes démentent, d'autres confirment. C'est ainsi que Ziad Takieddine, qui s'estime trahi par ses anciens amis de l'UMP, assure qu'il "existe des preuves" de ce financement illégal.

Début mai 2012, à quelques jours du second tour, c'est l'ex-premier ministre libyen, Baghdadi Ali Al-Mahmoudi, qui affirme, via son avocat, que le régime de Kadhafi avait bien financé la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 : "Nous l'avons subventionné d'un montant important, à peu près 50 millions d'euros, ou quelque chose qui s'en rapproche."

Lire : Un ex-haut responsable libyen confirme le financement de la campagne 2007 de Sarkozy

5/ Une enquête multiple et complexe

Après son échec au second tour de la présidentielle, Nicolas Sarkozy redevient un citoyen lambda, et la justice peut l'interroger dans plusieurs affaires : Bettencourt, Karachi et le financement libyen. Les juges ont déjà longuement auditionné Ziad Takieddine. Ce dernier explique aux juges :

"Saïf Al-Islam, que j'ai rencontré lors de ma dernière visite en Libye, le 4 mars 2011, m'a répondu 'oui' à la question : 'Ce que vous avez déclaré à la télévision au sujet du financement de la campagne de M. Sarkozy en 2007, est-ce vrai ?' Je lui ai demandé comment cela avait été possible sans que j'aie été mis au courant, alors qu'il savait très bien que j'étais tout le temps entre les deux. Il m'a expliqué que cela faisait partie des affaires réservées qui ne me concernaient pas. Le montant n'est pas évoqué."

Lire : Devant le juge, Takieddine, détaille ses voyages d'affaire en Libye

Fin 2012, le parquet de Paris confie au juge Van Ruymbeke, qui enquête déjà sur l'affaire Karachi, une information judiciaire portant sur Ziad Takieddine et son 1,5 million d'euros en espèces. Ce qui va lui permettre également de travailler sur les liens entre M. Sarkozy et le régime libyen.

Lire : Un juge enquête sur l'argent libyen de Ziad Takieddine

Le 22 janvier 2013, le parquet de Paris reçoit un courrier d'un avocat représentant plusieurs dignitaires libyens, Me Marcel Ceccaldi. Ce dernier propose à la justice d'entendre plusieurs hauts dignitaires libyens prêts à témoigner de liens financiers en échange de garanties sur leur sécurité.

Lire :  D'anciens proches de Kadhafi prêts à témoigner

Fin février 2013, le domicile de Claude Guéant est perquisitionné. Mais pas par le juge Van Ruymbeke : la perquisition se déroule dans le cadre de la plainte déposée par Nicolas Sarkozy contre Mediapart en mai 2012. C'est à l'occasion de l'enquête préliminaire confiée à la police que le parquet de Paris a finalement accepté, début 2013, d'entendre M. Takieddine. 

Celui-ci a évoqué le financement de la campagne de M. Sarkozy lors d'un entretien avec Renaud Van Ruymbeke dans le cadre de l'affaire Karachi. Il a assuré qu'il pouvait "fournir les éléments existants sur [ce] financement". Le juge a estimé que ces déclarations devaient être vérifiées, et les a transmises au parquet. Et ce dernier les a versées à l'enquête préliminaire de la police, menée par la Brigade de répression de la délinquance à la personne (BRDP) et la Division nationale d'investigations financières et fiscales (Dniff). 

Lire : La justice entendra Ziad Takieddine

Cette enquête continue. Et elle est différente de l'enquête judiciaire ouverte par le parquet vendredi 19 avril : elle porte sur les déclarations des anciens dignitaires libyens représentés par Me Ceccaldi. Et donc pas sur les multiples déclarations de Ziad Takieddine, qui restent liées à l'enquête préliminaire ouverte suite à la plainte de Nicolas Sarkozy.

30.04.2013
 
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