Barack Obama n’y aura rien pu. Les protestations du président des Etats-Unis d’Amérique n’auront tout au plus provoqué qu’une « panne » qui a obligé l’avion du président soudanais à faire machine arrière vers l’Iran. Cela n’a pas duré plus de 24 heures. C’est une visite d’Etat qu’Omar el-Béchir effectue dans la deuxième puissance économique du monde. Au grand dam de tous les défenseurs des droits de l’homme et autres férus de justice pénale internationale qui s’en arrachent les cheveux. Face à une Chine impassible et résolument déterminée à sauvegarder ses intérêts. Les morts du Darfour peuvent toujours attendre. Ce n’est pas l’empire du milieu qui va livrer aux fers de la justice celui qui est accusé d’avoir ordonné leur massacre.
Dans la compétition internationale pour la domination du monde, il n’existe pas une once de morale. Pour peu que de mirobolants intérêts économiques soient en jeu, les Etats sont tout-à-fait capables du pire. En choisissant d’officialiser avec faste le soutien qu’elle a toujours accordé au Soudan d’Omar Hassan el-Béchir, la Chine le démontre avec une éloquence et un cynisme non feints. Le Soudan, c’est en effet 6% du pétrole dont ne peut plus se passer la gourmande industrie chinoise en pleine expansion. Les échanges commerciaux entre les deux pays se sont envolés à 8,6 milliards de dollars en 2010 et promettent de continuer. Il n’est donc pas envisageable pour Pékin de se refuser à profiter des difficultés au plan international du président soudanais. Pour renforcer la dépendance de ce dernier du paratonnerre que la Chine lui a souvent offert au Conseil de Sécurité des Nations unies dont elle est un des membres permanents. Cela offre bien des avantages. Non seulement la concurrence américaine est écartée, mais les coûts des livraisons de pétrole sont largement étudiés à la baisse comparativement à un marché international où ils flirtent avec les 100 dollars le baril.
Le cynisme chinois va jusqu’à l’établissement de contacts depuis plusieurs années avec les autorités du Sud-Soudan, en vue de la mise en place de liens économiques forts, notamment dans l’éternel domaine pétrolier. C’est dans cette même perspective qu’il faut envisager les récents contacts entre la Chine et les insurgés du Conseil national de transition libyen qu’elle reconnait désormais comme un interlocuteur important de la scène politique libyenne. Omar el-Béchir n’est donc en réalité qu’un pion. Dont le géant chinois se sert désormais à sa guise pour renforcer sa présence en Afrique. En recevant ainsi, avec les honneurs, un homme poursuivi pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocide, la Chine démontre bien clairement aux Etats-Unis qui lui ont suggéré d’y renoncer, sa détermination et sa capacité à conduire ses relations extérieures selon ses propres règles. Cette politique de non-ingérence apparente qui ouvre les portes des dictatures les plus infréquentables aux officiels chinois pour peu qu’ils y trouvent leur compte.
Pendant ce temps, c’est la justice pénale internationale qui prend un coup. Alors même que la CPI vient de lancer un mandat d’arrêt international contre le Guide libyen, le Colonel Mouammar Kadhafi, un Etat membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, qui avait lui-même voté en faveur des enquêtes de la cour sur les crimes commis au Darfour, dresse le tapis rouge à celui qui en est sorti inculpé. Une vraie reculade en soi, quand les dictateurs peuvent compter sur ce qu’ils ont à offrir d’intérêts politico-économiques pour se soustraire à la justice et continuer à martyriser leurs peuples.
Il est vrai que face à la toute-puissance étatsunienne qui se déploie parfois avec beaucoup d’arrogance, une force de contrepoids est nécessaire, voire même indispensable. Mais pour une Chine qui entend jouer les premiers rôles dans un avenir proche, tant de cynisme, d’autres diraient de réalisme, ne sied pas.