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Ce poisson en armure qui tient tête aux piranhas

Ce poisson en armure qui tient tête aux piranhas

Je ne me rappelle plus qui m'avait offert, enfant, une petite encyclopédie des animaux sud-américains. En revanche, je me souviens très bien avoir été impressionné par une histoire racontée à la page des piranhas : pour que leur troupeau puisse traverser une rivière infestée de ces poissons carnivores aux dents acérées, des vachers sacrifiaient une bête malade en la jetant la première dans l'eau. Pendant que le banc de piranha "nettoyait" l'animal, le reste du bétail pouvait passer. A la saison sèche, lorsque certains cours d'eau se tarissent, les piranhas sont pris au piège dans des lacs et dévorent tout ce qui peut être mangé dans les parages, poissons, mammifères et même des oiseaux imprudents. Deux exceptions : le caïman, pour des raisons assez évidentes, et un poisson nommé arapaima, pour des raisons qui le sont beaucoup moins. Comment cet énorme animal, qui peut mesurer jusqu'à 2,5 mètres pour 200 kilos et constitue, avec sa chair légèrement sucrée, une réserve de nourriture aussi abondante que délicieuse, parvient-il à échapper aux redoutables piranhas ?

La réponse est simple : l'arapaima porte un gilet pare-dents. La preuve vient d'en être faite dans une étude américaine publiée en janvier par la revue Advanced Engineering Materials. Le titre – "Bataille dans l'Amazone : arapaima contre piranha" – résume bien l'approche que les auteurs, chercheurs à l'université de Californie, ont suivie : confronter les armes des piranhas, leurs dents, à l'armure de l'arapaima, ses écailles. Les premières sont impressionnantes, comme on peut le voir sur la photo ci-dessus. Même si la musculature de la bouche du piranha n'est pas particulièrement puissante, le poisson compense avec des dents aussi aiguisées que des lames de rasoir. Les chercheurs ont rapproché leur manière de pénétrer dans les tissus mous avec celle dont la lame de la guillotine tranchait les têtes, en n'attaquant pas les cous des condamnés à mort à l'horizontale mais en biais.

Mais c'est surtout la "cuirasse" de l'arapaima qui a focalisé l'attention des chercheurs. Le poisson, en photo ci-contre, dispose d'énormes écailles de 10 centimètres de long, composées de deux parties. La partie visible, d'un gris sombre, et la partie cachée (parce que recouverte d'autres écailles), plus claire. La première est dure, rugueuse au toucher, au point que les habitants de l'Amazonie s'en servent comme d'une lime à ongles. L'analyse a montré que cette zone de l'écaille est ondulée et que les bosses concentrent du calcium, ce qui explique la dureté de ce matériau bio-minéral. La partie cachée est, elle, plus mince et plus tendre. L'écaille est donc une superposition de deux épaisseurs, la première hautement minéralisée et la seconde faite de plusieurs couches de fibres de collagène. Ce matériau composite est donc à la fois très résistant en surface et flexible, une propriété indispensable à la nage du poisson. Les ondulations de la couche supérieure facilitent d'ailleurs cette flexibilité.

Restait à déterminer si ces écailles pouvaient résister à la morsure du piranha. Pour le savoir, les chercheurs ont fixé des dents de ce poisson sur une machine et ont testé leur pénétration dans les écailles d'arapaima. Des essais de contrôle étaient menés sur du caoutchouc synthétique et de la viande de saumon, qui n'ont pas résisté, contrairement aux écailles. Même si l'émail de la dent de piranha est nettement plus dur que celles-ci, l'épaisseur à traverser est telle que le carnivore amazonien ne peut atteindre la chair de l'arapaima : en effet, les écailles se chevauchant en une sorte de tuilage, il faut toujours, quel que soit l'endroit du corps, en transpercer au moins deux (soit 4 millimètres). En augmentant la force de pénétration, les chercheurs ne sont parvenus qu'à une chose : briser la dent de piranha ! En réalité, un calcul assez simple leur a montré que la force que doit déployer le piranha pour prendre une bouchée d'arapaima dépasse très largement ses capacités. Dans la course évolutive aux armements, le défenseur a pris une bonne longueur d'avance sur l'assaillant. Au-delà de ce constat , les chercheurs californiens soulignent que l'écaille d'arapaima appartient à cette classe de matériaux biologiques étonnants dont l'industrie pourrait s'inspirer (un "plagiat" appelé biomimétisme). Pour faire des gilets pare-balles ultra-légers ?

Pierre Barthélémy (@PasseurSciences sur Twitter)

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