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DSK, Iacub et nous

DSK, Iacub et nous

Créé le 06-03-2013 à 13h11 - Mis à jour à 17h34
Laurent Joffrin
Par Laurent Joffrin
Directeur du Nouvel Observateur

La publication du livre de Marcela Iacub et notre une ont embrasé le monde médiatique et entraîné, à la demande de DSK, notre condamnation en référé. Nos explications.

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"L'Obs" est condamné en justice : l’événement mérite une explication sans détour, aussi franche et complète que possible. Nous la devons d’abord à nos lecteurs, dont un certain nombre ont été heurtés par la publication d’un dossier consacré au livre de Marcela Iacub "Belle et Bête" ou par la formulation de notre une. Ils nous l’ont dit. Nous les avons entendus.[…]

La justice est souveraine, et nous respectons ses décisions.Après concertation avec nos avocats et dans le souci d’apaiser la polémique, nous avons choisi de ne pas faire appel, en dépit des forts arguments juridiques dont nous disposions. Mais il est clair que "l’Obs" a été traité avec excès. D’autres journaux, qui donnent maintenant des cours de morale, ont exploré dans les moindres détails la vie privée de DSK, souvent en des termes plus outrageants, en toute impunité. […]

La violence des réactions s’explique par l’identité particulière de "l’Obs", sa réputation et son image, au carrefour du journalisme et de la vie intellectuelle, telles qu’elles ont été forgées par Jean Daniel et qui font contraste avec le caractère sordide des frasques strauss-kahniennes. "Pas vous, pas ça", disent une partie de nos lecteurs. Ils ont sans doute raison, même si le "ça" en question a occupé pendant deux ans une bonne partie de la presse mondiale, y compris le "New York Times" ou "le Monde"…

De nos relations avec DSK et son équipe

Le traitement particulier qui nous est infligé vient aussi de l’histoire depuis longtemps difficile de nos relations avec DSK et son équipe. Retour en arrière : nous sommes au printemps 2011, et ce petit groupe lance la candidature Strauss-Kahn à la présidence de la République. Le patron du FMI est au zénith des sondages. […]

DSK invite alors à déjeuner la rédaction de "l’Obs", comme il le fera avec d’autres journaux dans la même période. Dans cette conversation informelle, il délivre deux messages, qui se résument ainsi : "En tant que journal de gauche, vous devez me soutenir", "Vous direz à Hollande que s’il persiste et que je gagne, il n’aura aucun poste, rien". Tel est le langage parfois brutal des acteurs politiques.

Accueil froid : un journal de gauche comme le nôtre, justement, ne doit pas prendre parti dans une bataille interne au PS, sauf à se mettre à la remorque d’une faction. Il n’est pas non plus chargé de porter les messages à un autre candidat. […] Notre attitude fut mal reçue par son équipe, qui nous jugea peu contrôlables, pour ne pas dire suspects.

Cette méfiance s’accrut après l’irruption de l’affaire du Sofitel, événement à la fois privé et planétaire. Rétifs à tout enrôlement, "l’Obs" et son directeur de la rédaction, qui l’expliqua clairement à la télévision, refusèrent d’appliquer la solidarité automatique qu’espérait l’homme de la suite 2806. […] Dès lors, le fossé s’élargit avec l’équipe DSK.

On assista ensuite, dans la presse mondiale, au déferlement de détails plus graveleux les uns que les autres, qui ont fait le miel – ou le fiel – des journaux les plus respectables, ceux-là mêmes qui s’indignent aujourd’hui devant le récit pourtant dénué de toute précision sexuelle écrit par Marcela Iacub. Des dizaines de milliers de pages ont été publiées à propos de l’affaire DSK, souvent crues et dérangeantes. Mise sous le microscope, scrutée, analysée, sa sexualité est désormais l’une des plus connues au monde, peut-être avec celle de Rocco Siffredi. Dans ce domaine, Marcela Iacub ne dévoile rien. Elle nous apprend que DSK a eu une aventure sexuelle. Révélation sidérante !…

L’affaire DSK, éminemment politique

[…] Contrairement à une idée reçue, l’intérêt suscité par l’affaire ne tient pas principalement aux bas instincts qui sont censés animer le public. DSK fascine aussi les lecteurs parce qu’il est un personnage de roman. Quel sujet ! D’autant plus passionnant que cette sexualité débridée comportait sa part de domination sociale. Les puissants jouissent de la puissance.

Sont-ils fondés à jouir aussi de la soumission si longtemps imposée aux femmes par la tradition, et dont elles cherchent à s’émanciper ? L’affaire DSK, sous cet angle, est éminemment politique. Un homme qui use ainsi de sa position pour séduire est-il légitime dans l’exercice du pouvoir ? Son habitude de conquête sexuelle expéditive est-elle une liberté à protéger, une simple affaire de vie privée ou, au contraire, un abus de position sexuelle dominante qui augure mal de son action à la tête de l’Etat ? L’affaire DSK remue toutes ces questions. Et réfléchir à son propos sur le sexe et le pouvoir relève-t-il de la complaisance commerciale ?

Les romanciers devaient inévitablement s’emparer du sujet, comme ils le font régulièrement des faits divers contemporains ou de leur propre expérience intime. "Mme Bovary, c’est moi", disait Flaubert. Pour l’écrivain d’aujourd’hui, dans cette société où l’individu est sommé de chercher son plaisir, DSK, c’est nous. Sur ce thème, Marcela Iacub a livré une analyse personnelle et paradoxale. La chroniqueuse de "Libération" est aussi la porte-parole d’un courant d’idées qui met l’individu souverain au centre de la société pour en tirer des positions radicales sur la liberté des mœurs et la bioéthique.

Cette philosophie n’est pas celle de "l’Obs", qui se défie autant des champions de l’ordre moral que des apôtres du "tout est permis". Mais qui peut nier qu’elle joue un rôle dans le débat public, au sein d’une société travaillée par un besoin sans fin d’autonomie personnelle, en même temps qu’elle est avide de retrouver des règles collectives ?

Les paradoxes de notre métier

Tout cela est présent dans l’esprit du directeur de la rédaction qui choisit de publier. On lui rétorque aujourd’hui qu’il a naguère pris la défense de la vie privée avec vigueur. Objection logique. On oublie toutefois que la question se pose très différemment avant l’affaire du Sofitel, quand la vie intime de DSK est encore un objet largement privé, et après. On oublie surtout que les règles dont il fait alors l’éloge, et qui demeurent parfaitement valables aujourd’hui, s’appliquent aux journalistes et non aux écrivains. Il n’aurait jamais eu l’idée de demander à un journaliste d’enquêter sur la liaison de Iacub. Il en va autrement pour une romancière.

Imagine-t-on ce qu’il adviendrait de l’autofiction, genre combien actuel, si l’on s’avisait d’appliquer à la littérature les règles de la presse et de sanctionner toute intrusion dans la vie privée ? Combien d’excellents livres seraient soustraits à la connaissance du public ? Tous ceux qui applaudissent le jugement devraient y réfléchir. S’il y a erreur, c’est d’avoir pensé que cette distinction apparaîtrait évidente, alors qu’elle est essentielle dans la vie éditoriale, mais ténue dans l’esprit du lecteur.

Il ne fallait pas, enfin, sous-estimer le ressentiment du public à l’égard des médias en général, ressentiment dont "l’Obs" devient en l’espèce le bouc émissaire, alors qu’il maintient une qualité de style et d’enquête aussi élevée que possible. Machine inquiétante, théâtre de la cruauté en même temps que monde vivant et chatoyant, le système médiatique informe le public et l’inquiète tout autant. "L’Obs" en étant condamné avec tant de dureté paie aussi pour les autres, qui se récrient pour faire oublier leur propre comportement. Au moins cela nous permettra-t-il de méditer, peut-être avec moins de tartuferie, sur les paradoxes de notre métier.

A LIRE dans "le Nouvel Observateur" du 7 mars :

      DOSSIER. "DSK, Iacub et nous". Retour sur une affaire qui a embrasé  la sphère médiatique et choqué une partie de nos lecteurs.

  • DSK, Iacub et nous, par Laurent Joffrin.
  • Le point de vue de la société des rédacteurs
  • Le monde à l'envers
  • Marcela ou les infortunes de la liberté
  • La littérature a-t-elle tous les droits ?
  • L'éthique du cochon, par Olivier Abel, professeur de philosophie moral à l'Institut protestant de Théologie de Paris

     ET AUSSI

  • Enquête. Guerre en Irak : le menteur de Bagdad
  • Débat : Lévi-Strauss et la PMA
  • PSA-Peugeot-Citroën : Philippe Varin, le patron de la dernière chance.

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