L'esclavage existe encore en
France. Même cent soixante-cinq ans après son abolition. Charlotte, une pré-ado ivoirienne de 14 ans, en sait quelque chose. Depuis le mois de septembre, elle sert de bonne à tout faire chez un jeune couple de 25 ans résidant à Cavaillon (Vaucluse).
Comme l'a révélé Le Dauphiné Libéré ce mercredi, ils l'avaient achetée 4500 euros en Côte d'Ivoire, d'où l'homme est originaire.
La femme, elle, est Française.
Depuis tout ce temps, Charlotte a vécu sans salaire, sans papiers, et sans possibilité d'aller à l'école. Quand elle ne faisait pas bien son travail, elle recevait des coups de ceinture. Profitant d'une courte période de temps libre accordée par ses exploiteurs, elle s'est rendue au commissariat de Cavaillon ce mardi matin pour se plaindre de ces violences. «Elle est venue en se présentant comme "jeune fille au pair" pour expliquer qu'elle subissait des coups de la part des gens chez qui elle travaillait, explique le commandant de police au Parisien.fr. C'est seulement en l'interrogeant que nous avons découvert qu'il y avait une affaire de traite d'être humain derrière cette histoire. C'était un appel au secours mais je pense qu'elle-même ne se rendait pas compte qu'elle était victime d'esclavage».
«Un classique» La pratique est en effet courante, pour ne pas dire banale en Afrique de l'Ouest. Le couple a avoué aux policiers être «descendu (en Côte d'Ivoire) pour ça» et s'être vu proposer une dizaine de filles par celui qui se présentait comme le «grand-père» de Charlotte à Dabou, une banlieue d'Abidjan (sud du pays). Les 4500 euros (3 millions de francs CFA) versés à cet homme en échange de la malheureuse élue comprenaient entre autre le transport de cette dernière jusqu'en
France, un périple qui l'a fait passer en toute clandestinité par le Maroc et l'Espagne en bateau et en avion.
«C'est un classique», observe Sylvie O'dy, la présidente du
Comité contre l'esclavage moderne interrogée par LeParisien.fr, soulignant que cette forme d'exploitation est «de plus en plus fréquente en cette période de crise». «Il est très fréquent que des personnes d'origine étrangère résidant en France se rendent dans le pays où ils ont des liens et où il leur est facile de trouver quelqu'un issu d'une famille pauvre à exploiter», explique-t-elle. Surtout en Afrique, d'où viennent 76% des victimes prises en charge par cette association qui recense 300 nouveaux cas par an.
«L'achat est en revanche extrêmement rare», s'étonne la présidente, rappelant qu'il n'y a quasiment jamais de transactions financières dans l'esclavage moderne, hormis la prise en charge du voyage. «Là, on est face à une forme d'esclavage au premier sens du terme avec la notion de vente d'un être humain», s'alarme-t-elle.
Placée dans un foyer Depuis qu'elle a témoigné, Charlotte n'a jamais revu ses bourreaux. Après avoir fait examiner ses blessures, elle a été confiée au foyer de l'enfance d'Avignon et devrait bientôt être régularisée pour être scolarisée en France. Le couple chez qui elle travaillait a été immédiatement mis en garde à vue. Ce mercredi, la femme a été libérée au bout de vingt-quatre heures tandis que l'homme a été placé en détention provisoire et sera jugé le 15 mars au tribunal correctionnel d'Avignon pour traite d'être humain,
une infraction passible en France de 7 ans de prison et de 150 000 euros d'amende.