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L’instant DSK

Politiques 01/06/2011 à 00h00 sur libération.fr

 

Abasourdis ou incrédules, les proches de l’ex-patron du FMI racontent ce dimanche 15 mai où ils ont appris l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn à New York. Un choc dont ils ne se sont toujours pas remis.

 

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Par LAURE BRETTON, PASCALE NIVELLE, ALICE GÉRAUD Lyon, de notre correspondante

 

Dominique Strauss-Kahn quitte la salle d'audience, à New York, le 19 mai

 

Dominique Strauss-Kahn quitte la salle d'audience, à New York, le 19 mai (© AFP Richard Drew)

 

  • Ce qu’ils faisaient lorsqu’ils l’ont appris, ils s’en souviendront toute leur vie. Comme du jour de l’assassinat de Kennedy, de l’instant où Armstrong a posé le pied sur la Lune, ou quand les avions ont frappé les tours du World Trade Center. Un premier tweet dans la nuit, le samedi 14 mai. Il est 22 h 59 à Paris, 16 h 59 sur la côte Est des Etats-Unis : «DSK aurait été arrêté par la police dans un hôtel à NYC.» New York s’enflamme, Paris dort encore.

 

Pierre Moscovici, l’un des très proches de Strauss-Kahn, vient de rentrer, content de lui. Il a bien défendu son mentor sur le plateau d’On est pas couché, l’incendie de la Porsche Panamera est enfin éteint, après huit jours pénibles. «A 1 h 30, je m’endors plutôt satisfait. A 2 h 20, je reçois le SMS d’un camarade, raconte-t-il. J’ai passé le reste de la nuit sur les sites d’infos américains. Au fur et à mesure, je vois que l’affirmatif remplace le conditionnel. Je suis abasourdi, choqué, sidéré.»

 

Cette nuit-là, Claude Bartolone, le député PS de Seine-Saint-Denis qui se dépense depuis quelques mois pour Dominique Strauss-Kahn, fête l’anniversaire d’une amie en province. A table, il y a des «copains de gauche et de droite», on ne parle que de 2012 et de la désormais candidature certaine du patron du FMI. Dans la nuit, son fils appelle. «Ce fut le début d’une journée infernale, se souvient Claude Bartolone, on n’arrêtait pas de s’appeler entre nous, comme pour un décès, ou un accident. On se disait "c’est pas possible, pas lui !"»

 

«J’ai cru qu’il y avait un mort dans la fête»

 

L’onde de choc atteint Lille, où Martine Aubry vient d’arriver pour fêter la victoire du Losc face au PSG en finale de la Coupe de France de foot. Toute à sa joie, elle a embarqué deux gamins dans sa voiture qui sillonne la ville, drapeaux rouge et blanc aux fenêtres. Avec son attaché de presse, François Rousseau, elle se pose dans «le café d’un pote» dans le Vieux-Lille. Un couscous est commandé. Il est 2 heures du matin. Coup de fil du correspondant local de RTL à François Rousseau. «J’ai d’abord cru qu’il y avait un mort ou un accident dans la foule, dans la fête, raconte celui-ci. Il m’a rassuré : "T’inquiète, c’est un truc sur DSK."» Le collaborateur allume son iPad, quand Martine Aubry reçoit les premiers SMS. «Je comprends qu’il se passe quelque chose, racontera la première secrétaire du PS, mais je n’y ai pas cru.» François Rousseau : «Tu lis ça en anglais, à 2 heures du matin, avec les gens qui font la fête autour… c’est surréaliste.»

 

A Dijon, François Patriat reçoit un coup de téléphone de son assistante parlementaire, en pleine nuit aussi. «Regarde la Toile !», lâche la jeune femme. Le président de la région Bourgogne ne se rendormira pas. Au petit matin, il enfourche son vélo, pour une course prévue de longue date. Pédaler pour oublier ? L’actualité le rattrape. Une main sur le guidon, son téléphone greffé dans l’autre, il répond aux journalistes : «C’est de l’intox, c’est pas possible ! Ceux qui ne voulaient pas que DSK soit là ont réussi.» Entre deux virages, lui vient l’idée d’un coup monté, «pourquoi pas du FMI». La réalité des faits, la morgue des médias américains, qui déjà accusent sans conditionnel, c’est trop pour l’ami de DSK. Lui ne fait pas partie du premier cercle - comme les «Mousquetaires» Moscovici, Cambadélis ou Le Guen - mais il a joué sa carrière en choisissant Strauss-Kahn. Et voilà que le sol semble s’ouvrir sous ses roues. Autour de lui, on parle d’un «séisme» humain, politique.

 

De cercles en courants socialistes, la nouvelle circule à la vitesse des SMS, souvent lapidaires. «DSK arrêté», écrit Anne Hidalgo, première adjointe du maire de Paris, qui ponctue son message de trois points d’exclamation. «Remember Baudis», intime un jeune strauss-kahnien, versant dans la théorie de la conspiration. «Suite 2 806 : juste dingue», commente une élue parisienne, croyant à l’acte manqué magistral. Le 28 juin, en France, c’est la date du dépôt des candidatures à la primaire socialiste…

 

A Grenoble, le maire dort mal et entend tout de suite le bip du SMS. «J’ai cru qu’il y avait un problème à Grenoble, mais c’était un de mes collaborateurs parisiens», se souvient Michel Destot. Arrestation, viol, New York… «Je n’ai pas d’autre mot que "stupéfaction" pour décrire ce que j’ai ressenti et que je ressens encore.» Le jour se lève en Rhône-Alpes. Bernard Soulages, élu PS au conseil régional et animateur local du club Inventer à gauche qui roule pour l’ex-ministre de l’Economie, part faire son jogging du dimanche. Il est alerté par une amie de droite, qui lui envoie un message moqueur. «Elle me disait qu’on était mal pour les élections, explique l’élu. J’ai mis du temps à comprendre. Au début, j’ai minimisé, pensant que l’histoire qu’il avait eue au FMI, Piroska Nagy, se répétait.»

 

SMS perpignanais au réveil

 

L’information passe les frontières. Olivier Ferrand, président de la fondation Terra-Nova et élu des Pyrénées-Orientales, découvre un «SMS perpignanais» à son réveil en Israël où il est arrivé la veille pour un voyage d’études. «J’ai cru que c’était une blague et puis j’ai allumé France 24 où l’histoire tournait déjà en boucle.» L’ancien conseiller aux affaires européennes de Lionel Jospin reste «sous le choc» un long moment, tente de joindre DSK puis Anne Sinclair, avant de leur envoyer un courriel à chacun et de descendre petit-déjeuner.

 

Quelques heures plus tard, les Français débarquent chez le Premier ministre palestinien. Salam Fayyad les accueille les bras en l’air, signe d’affolement et de désarroi : «Mon Dieu, mon Dieu, qu’est-ce qu’il se passe ? Comment va Dominique ? Je le connais bien vous savez !» A cet instant, personne n’est en mesure de lui répondre sur l’homme. Mais sur sa fonction, Olivier Ferrand pense déjà que la candidature à la primaire est «carbonisée».

 

Réflexe matinal en France, Marisol Touraine allume la radio. «France Inter comme d’habitude.» Il est 7 h 30, un dimanche, on a le droit de lézarder. La députée de l’Indre-et-Loire a éteint son smartphone pour la nuit. Sinon, elle y aurait trouvé le courriel incrédule de sa fille aînée, étudiante à Seattle, l’informant de l’affaire en pleine nuit. «Totalement assommée», l’élue «n’a pas appelé cinquante personnes». Elle parvient à joindre «deux amis», Pierre Moscovici et Gilles Finchelstein, membre du premier cercle, conseiller et plume occasionnelle, injoignable depuis six heures. Pour elle, «le coup de massue était tellement énorme» qu’elle commence par répondre «no comment !» aux journalistes : «Je ne savais pas quoi dire. J’étais très en colère le matin, je me disais mais comment on peut se retrouver dans cette histoire.» Et puis la vie politique reprend ses droits. A la tête de son département, madame la présidente se plonge «dans de l’ultraconcret» et fait le vide.

 

Capable d’asséner un SMS vengeur aux journalistes au beau milieu de la nuit s’il estime les intérêts de «Dominique» malmenés, Jean-Christophe Cambadélis jure lui aussi qu’il avait éteint son portable en se couchant. «C’était dimanche, je pensais dormir.» Quand il le rallume, des dizaines de messages clignotent. Depuis, le député de Paris a fait les comptes : 7 000 SMS de soutien pour DSK ont transité par son téléphone. Pour les journalistes, qui se réveillent à leur tour, il faut des réactions : «A partir de ce moment-là, je reçois un SMS toutes les deux minutes, pendant quarante-huit heures», décompte Pierre Moscovici. Sollicité de toutes parts, il finit par accepter de parler au journal de 20 heures de TF1 : «Je me suis dit que ça paraîtrait bizarre que nous, les proches, restions silencieux.»

 

Les plus proches, pourtant, le resteront et le restent toujours, fuyant les coups de téléphone, refusant toute interview ou confidence. Certains ont reçu le «coup de tonnerre» à l’anniversaire de Patrick Bruel, où Anne Sinclair venait d’arriver. Le clan des communicants - Anne Hommel, Ramzy Khiroun, Gilles Finchelstein et Stéphane Fouks, le patron d’Euro-RSCG - ne dira rien de la minute où leur vie a basculé. Des années voire des décennies à orchestrer ce qu’ils pensaient être l’inexorable montée de DSK vers l’Olympe présidentiel. Et à l’accompagner pendant les traversées du désert, Mnef, cassette Méry, affaire Nagy… Les compagnons des bons comme des mauvais jours. Et sur l’échelle des mauvais, celui-là est noir. Tous coupent leurs portables, pages Facebook et autres comptes Twitter. La presse écrit que les «quatre fantastiques» s’envolent, à nouveau soudés dans l’adversité, pour les Etats-Unis.

 

«En boucle comme le 11 Septembre»

 

Seule Anne Hommel, qui s’occupait d’une partie des relations presse du directeur général du FMI et qui gérait son agenda parisien, accompagne Anne Sinclair à New York où son époux, ancien ministre de l’Economie qui se rêvait prix Nobel, passe sa première nuit en prison, sur l’île de Rikers Island.

 

Pendant deux jours, la strauss-kahnie vit suspendue aux brefs messages écrits des deux femmes. «On échange nos infos, on compare les textos, rapporte Jean-Jacques Urvoas, député du Finistère. Après cinquante ans de sollicitations, on se demande comment il supporte la cage seul. On se dit "est-ce qu’il va tenir".» Christophe Borgel, secrétaire national chargé des élections au PS et fidèle parmi les fidèles, est «le plus déglingué de tous», selon les mots d’un parlementaire qui leur a parlé au téléphone.

 

Eux se taisent mais d’autres se répandent. Sur les ondes, les amis du couple Strauss-Kahn, Jean-François Kahn, Jack Lang ou Bernard-Henri Lévy franchissent, chacun à leur manière, la ligne jaune : «Troussage de domestique»,«Il n’y a pas mort d’homme», DSK n’est pas un «justiciable comme les autres»… Ils se sont excusés depuis mais le mal médiatique est fait.

 

Lundi soir, après les images de DSK menotté de la veille, nouveau choc : l’ami, le mentor, le champion, mal rasé et hagard, apparaît sur les écrans en direct, devant le tribunal de Manhattan. La juge Melissa Jackson lui refuse une libération sous caution. «Je suis restée scotchée devant ma télé, incapable de zapper, à me repasser les images en boucle, comme le 11 Septembre», avoue Marie-Pierre de La Gontrie, vice-présidente du Conseil régional d’Ile-de-France, après la «thérapie de groupe» prescrite par Martine Aubry à tous les socialistes. Le bureau national se remplit de larmes, comme la voix de la première secrétaire. De l’enterrement d’une ambition, les costumes sombres sortent au compte-gouttes, les lunettes noires cachent des yeux rougis.

 

Le journaliste Claude Askolovitch, qui rédigeait une biographie de Dominique Strauss-Kahn maintes fois repoussée, reprend le chemin de son clavier. Sur Twitter, il résume : «Douleur, tristesse, vide. Les socialistes sont incapables aujourd’hui de se reconstruire politiquement.» A l’Assemblée nationale, les strauss-kahniens endoloris font bloc. «On se serre le bras, on se fait la bise, le regard bas mais personne ne parle de politique», relate Marisol Touraine. Jean-Jacques Urvoas : «Là, on est dans la vie tout court.»

 

Dessin Séverin Millet

KHADHORMEDIA 03.06.2011 0 2297
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