Christian Félix Tapé
J’ai lu avec rage d’abord et sérénité ensuite votre lettre publique adressée au peuple Bété l’invitant à conseiller à son fils Laurent Gbagbo de laisser pacifiquement le pouvoir parce qu’il a perdu les élections. Sur cette motivation qui est la substance du débat, il n’y a aucun doute, il a perdu les élections et doit s’en aller. Je me fais alors le devoir de vous répondre pour l’autre volet du débat : l’appartenance au peuple Bété. Je me suis senti doublement interpellé à ce titre car j’étais présent à la maison du Congrès à Treichville, à la réunion convoquée par les sommités Bété pour expliquer alors au peuple pourquoi elles ont choisi de demander pardon au Président Houphouët. Je n’étais pas responsable politique et administratif Bété. Je n’étais qu’un simple étudiant de première de droit. Mais j’avais de sérieux motifs d’être présent. Je suis bété ; tout ce qui est politique m’intéressait aussi. Deux faits marquants ont signé mon attention pour toujours. Et j’en profite pour vous confesser que par expérience, tout ce qui marque mon attention de cette façon subtile en pareille circonstance a toujours de la signification. Quels étaient ces deux faits ?
1- Les organisateurs de la rencontre avaient choisi de faire intervenir les porte-parole des régions Bété à tour de rôle. A un moment donné, comme un seul homme, l’assemblée a manifesté son refus et un rapporteur régional qui avait déjà la parole fut interrompu. C’est alors le doyen feu Charles Donwahi prit la parole pour sentencier : j’ai compris que vous désirez que le peuple Bété parle désormais d’une seul voix. Il reçut une approbation explosive. A la suite, il fit alors un discours long en Bété résumable ainsi : nous ne pouvons pas sacrifier les nôtres parce demain nous pourrions être aux affaires. Croyez-moi, ce n’est pas impossible et nous n’en sommes pas loin.
2- Des trois enseignants Bété incriminés, un seul, ayant trouvé indigne cette démarche hautement politique, était absent. Officiellement, il a toujours soutenu que ses actions ne lui sont par inspirées par sa fibre ethnique, mais plutôt par ses intimes convictions politiques. C’est lui qui est aujourd’hui le Président de la République.
Laurent Gbagbo est-il redevable au peuple Bété ? Le peuple Bété doit-il quelque privilège à la présidence de Laurent Gbagbo ? Existe-t-il des raisons pour lesquelles le fils sacrifierait son peuple ou le peuple se sacrifierait pour son fils ou le laisserait tomber ?
Lorsqu’à l’époque Laurent Gbagbo refusait de se rendre à la réunion d’explication des responsables Bété, sa position était objective. Il ne fallait pas faire des amalgames gratuits même si la démarche avait une fonction politique louable et salutaire. Aujourd’hui, rendre le peuple Bété responsable, et donc prochaine victime de l’entêtement de son fils Gbagbo Laurent est un autre amalgame gratuit. Il est vrai que le facteur ethnique est une véritable arme politique en l’absence d’une saine culture civique nationale. Mais il faut dénoncer les manipulateurs qui l’utilisent quand cela les arrange. il faut demander à ceux qui s’emploient à regrouper les Bétés autour de Gbagbo pour faire les kamikazes du pouvoir qu’à cette même réunion de 1982 à la Maison du Congrès, feu Baï Tagro, ancien Préfet de Gagnoa proclamait aussi : « vous qui vous excitez ainsi, comprenez à partir d’aujourd’hui, que nous peuple Bété, sommes fatigués d’ être fiers de montrer les muscles et la poitrine. Nous devons être nous aussi les acteurs de cette Côte-d’Ivoire qui reflète l’expression de notre hymne nationale. C’est pourquoi nous avons demandé pardon à Houphouet ».
Cher oncle Kragbé, je partage la substance de votre lettre ; c’est un cri de douleur, mais ceux qui soutiennent Gbagbo dans son entreprise actuelle, ce n’est pas le peuple Bété qui en réalité n’a jamais assumé une position politique monolithique. Ce sont au contraire ses compagnons et alliés de toute sorte, ayant jusqu’à hier partagé le gâteau avec lui sans aucune sensibilité sociale et socialiste, veulent aujourd’hui, avec extrême méchanceté et insensibilité, couvrir leur manque de courage par le recours à la solidarité inconditionnelle d’un peuple toujours désabusé et invoqué lorsqu’il s’agit de montrer les biceps. C’est le cynisme de ces politiciens Bété machiavéliquement intelligents et opportunistes qu’il faut dénoncer. Car il ya un dicton populaire Bété qui dit « c’est une tête seule qui se trompe, pas deux ». Le Bété n’est pas un bétail qu’on conduirait à l’abattoir comme des moutons de panurge. Qu’aucun politicien Bété ne s’y trompe. Ce cela le Bété en réalité, et celui qui n’en est pas fier c’est son affaire.