Des opposants à Abdoulaye Wade manifestent dans les rues de Dakar, au Sénégal, le 31 janvier 2012. Tanya Bindra/AP/SIPA
Sera-t-il encore là demain? Le second tour de l'élection présidentielle organisé ce dimanche au Sénégal a des allures de référendum pour ou contre Abdoulaye Wade, chef d'Etat octogénaire accusé par une opposition unie de vouloir s'accrocher au pouvoir, comme les dirigeants qu'il combattait jadis.
Abdoulaye Wade est arrivé en tête du premier tour le 26 février avec 34,8% des suffrages, devant son ancien allié et Premier ministre Macky Sall, deuxième avec 26,6%.
Dans l'entre-deux tours, Sall a su rallier autour de sa candidature l'ensemble des opposants et obtenu le soutien du chanteur Youssou N'Dour, écarté du scrutin par le Conseil constitutionnel. Cette alliance anti-Wade a fait naître pour une partie de l'opinion sénégalaise l'idée que le président sortant ne pouvait pas remporter le second tour.
Après douze années au pouvoir, Abdoulaye Wade mise pour sa part sur les nombreux abstentionnistes du premier tour mais aussi sur les chefs religieux, qui exercent encore une forte influence sur leurs communautés.
Wade, après avoir voté en fin de matinée à Dakar, a accusé les gouvernements français et américain d'avoir été "intoxiqués" par la propagande de ses rivaux. Il a visé le chef de la diplomatie française, Alain Juppé, et le secrétaire d'Etat adjoint américain chargé des affaires africaines, Johnnie Carson.
"M. Juppé et M. Carson ont été intoxiqués par les bonimenteurs (...) qui affirmaient que ma candidature allait mettre le feu au pays", a-t-il dit aux journalistes.
"Comme nous l'avons vu, le premier tour s'est déroulé dans de bonnes conditions, pacifiquement, et les résultats ont été acceptés par tous", a-t-il poursuivi, ajoutant cependant vouloir "normaliser" les relations avec Paris et Washington s'il est réélu à un troisième mandat.
La France et les Etats-Unis ont exprimé leurs doutes sur la validité de la candidature de Wade, Washington redoutant qu'elle déstabilise le pays tandis que Paris prônait l'avènement d'une nouvelle génération de dirigeants politiques.
La campagne pour le second tour s'est déroulée sans incident majeur, contrairement aux semaines ayant précédé le vote du 26 février qui ont vu la mort de six personnes dans des manifestations hostiles au président sortant.
Ces violences avaient été déclenchées par la validation de la candidature d'Abdoulaye Wade par le Conseil constitutionnel, alors que la Constitution n'autorise plus que deux mandats présidentiels.
Elu dans l'enthousiasme en 2000, Abdoulaye Wade est désormais perçu par nombre de ses compatriotes comme l'un de ces nombreux dirigeants africains incapables de renoncer au pouvoir.
Au-delà de ce grief, la pauvreté et le chômage constituent les deux principaux reproches adressés au chef de l'Etat. Lui affirme qu'il a modernisé le pays comme aucun de ses adversaires socialistes ne l'a fait durant leurs 40 années au pouvoir après l'indépendance vis-à-vis de la France en 1960.
"La pauvreté a été éradiquée du Sénégal mais je ne nie pas qu'il demeure quelques poches dans les grandes villes. Je m'en occuperai après l'élection", a-t-il déclaré vendredi lors de son dernier meeting de campagne à Dakar.
A 50 ans, Macky Sall compte réorganiser le secteur de l'énergie pour lutter contre les pannes de courant chroniques. Il promet aussi de réduire les taxes sur les produits de première nécessité, tels que le riz.
Les résultats du scrutin sont attendus lundi ou mardi.
En Afrique comme hors d'Afrique, ce second tour est observé de près, alors qu'un coup d'Etat militaire au Mali voisin est venu rappeler la fragilité des institutions de nombreux Etats africains.
Son déroulement et son issue permettront de savoir si le Sénégal préserve son statut d'avant-garde du pluralisme politique ou si au contraire il s'apprête à accentuer ce que nombre d'observateurs qualifient de "récession démocratique".
"Ce sera un signal pour toute l'Afrique", a expliqué Abdoul Tejan-Cole, directeur régional pour l'Afrique de l'Open Society, la fondation créée par le milliardaire George Soros.
"A une époque, dans les années 1960 et 1970, nous parlions de coups d'Etat, puis, dans les années 1980 et 1990, nous avons parlé de 'présidents à vie'. Aujourd'hui, nous en sommes arrivés à une phase où nous avons des élections. Et le débat porte réellement sur la qualité de ces élections", a-t-il poursuivi.