En temps normal, aucun démocrate convaincu n’aurait des états d’âme à voir intervenir des puissances extérieures pour restaurer le droit au droit en Libye et permettre l’éclosion d’une démocratie qui restitue au peuple son droit souverain à fonder le pouvoir. D’ailleurs, si beaucoup de nos leaders et cadres africains ont tenté de vendre l’idée de l’ingérence humanitaire ou démocratique, à l’époque de la chute du Mur de Berlin, c’était dans l’optique de promouvoir une nouvelle communauté internationale plus solidaire et qui évolue dans un plus grand souci de partage des fruits de la démocratie à tous. Mais on en est revenu depuis. Et ce qui se passe actuellement dans bien de pays africains et notamment au nord du continent, montre bien que les professions de foi des grandes puissances sur les droits de l’homme, la démocratie, sont perverties par leur volonté d’hégémonie et d’accession aux richesses des pays pauvres pour financer leurs propres économies déclinantes.
Nicolas SARKOZY et Muammar KADHAFI
Ainsi donc, nous voilà en train de douter du bien-fondé de la grande colère de Nicolas Sarkozy contre Mouammar Kadhafi et qui à défaut d’une caution de l’OTAN ou de l’Union européenne, a conduit à une Résolution des Nations Unies ouvrant la porte à une guerre internationale en Libye.
On a ici beaucoup de raisons de douter de la sincérité des proclamations.
Nicolas Sarkozy n’est pas un modèle de démocrate ni dans son pays, ni à l’extérieur. Il fait plutôt figure de quelqu’un d’empressé, certains disent même d’agité, qui court à la recherche de dividendes internationaux pour stopper une perte de crédit en interne mais aussi pour renflouer les finances de son pays.
Dans le cas libyen, il peine à convaincre les consciences honnêtes de la pureté de ses intentions quand on se souvient de la cour effrénée qu’il a fait au Guide libyen, histoire de rattraper le retard pris en ce domaine par rapport à d’autres capitales occidentales qui ont fait le « pûss Naaba » (NDLR : salutation du chef en battant le sol de ses coudes) devant Kadhafi pour avoir contrats, pétrodollars et autres avantages, jusqu’à blesser leurs coudes.
La guerre contre Kadhafi à laquelle il est actuellement engagé à mort aurait de quoi convaincre si on le sentait également préoccupé de permettre aux Bahreïnies de bénéficier des mêmes libertés et si on le voyait aussi en pointe contre le pouvoir yéménite qui massacre à tour de bras son peuple qui hurle à l’aide pour sa liberté. Ne parlons pas de ces pays africains où se jouent des parodies de démocratie, où l’on tire à balles réelles sur des populations en révolte pour la vérité et la justice, sans évoquer la moindre émotion du numéro un français.
Cette guerre donc de Sarkozy contre la Libye n’est pas une guerre propre, si jamais il en existe. Elle est beaucoup plus motivée par les soifs évoquées mais aussi par les blessures personnelles d’un homme qui s’est vu injurier, croit-il, par des « sous hommes ».
En effet, les mots utilisés par les Kadhafi à son encontre, les menaces de divulguer certaines largesses faites par eux pour financer sa campagne électorale de 2007 avec en bout de course l’effet tsunami que ce dévoilement pourrait provoquer au plan électoral en 2012, ne pouvait que le toucher au vif et l’appeler à frapper avant d’être frappé.
Si en plus on envisage les conséquences d’une humiliation en Libye dans d’autres pays africains, on comprendra que le président français ait été gagné par la danse de Saint-guy et qu’il soit passé à l’action.
Pour assouvir sa soif de vengeance, rien mais rien ne pourra empêcher le couperet de tomber. Ni l’offre de cessez-le-feu de Kadhafi qu’on s’efforcera au moyen médiatique de battre en brèche, ni la pacification des villes reconquises dans lesquelles on trouvera encore le moyen de dénoncer la commission de crimes d’échelle contre l’humanité.
Voilà qui, dans l’Agoravox du 18 mars 2011, sous la titraille «Libye-ONU : le mensonge médiatico-sarkozyste », amène Alain Jules, à se poser cette question : « Pourquoi alors que les révoltes pacifiques sont réprimées dans le sang au Yémen ou à Bahreïn ne voit-on pas de résolution de l’ONU ? Cherchez l’erreur ! ». Voilà qui fait aussi dire à Allain Jules, dans un article au titre évocateur «Libye : bienvenue dans un guêpier » publié dans Le Point du 19 mars, ceci : «Une fois Kadhafi balayé (Inch Allah !), comment sera gouvernée la Libye ?....Le danger est de voir la Libye transformée en une nouvelle Somalie… Les expéditions militaires commencent toujours bien, la fleur au fusil. La suite est plus compliquée à gérer ».
Quant au cinéaste égyptien Mogniss H. Abdallah, il n’y va pas par quatre chemins pour se démarquer de l’aventure en voie d’exécution : «Certains pays comme les Emirats-Arabes-Unis qui participent ouvertement à l’occupation militaro-policière du Bahreïn se sont portés volontaire pour l’intervention internationale en Libye. Ainsi, des régimes directement impliqués dans la répression dans un pays arabe, prétendraient agir contre répression et massacres dans un autre pays arabe ? Quelle hypocrisie ! Les militants de la solidarité ne peuvent cautionner sous aucun prétexte cette duplicité qui menace l’avenir des révolutions démocratiques en cours dans l’ensemble du monde arabo-berbère et africain… N’ayons pas peur du combat contradictoire entre nous, y compris avec nos camarades libyens. Pas d’unité à minima. Ne soyons pas complices de la balkanisation de la Libye et des pays de la région » (in Site Google).
Le paradoxe, l’amère déception dans tout cela, serait que des voix africaines ne soient pas les plus nombreuses à animer ce chorus de réserve et de désapprobation car on se retrouverait malheureusement à le regretter après coup car comme a écrit Thomas Carlyle, « Notre génération devra se repentir moins des méfaits des méchants que du silence des gens de bien ».