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L'objectif de ce premier "quartier numérique" – sur les quinze prévus en France – est d'affirmer Paris comme une ville attractive pour les start-up, au même titre que d'autres capitales européennes. Début 2012, Londres s'était auto-proclamée "capitale européenne du numérique", dans une campagne marketing à l'international censée attirer les entrepreneurs vers elle plutôt que vers les capitales française et allemande. En janvier, Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris chargé de l'innovation, déclarait Paris bien plus dynamique pour ces jeunes entreprises, notamment grâce à de lourds investissements et la présence de 70 000 m² de surfaces d'incubateurs.
"Il faut prendre cet objectif de mille start-up avec des pincettes, surtout si l'espace est découpé en 25 m² par start-up, qui ont des tailles très variables", estime le conseiller en stratégies Olivier Ezratty. "Fleur Pellerin cherche aussi à attirer des start-up d'autres pays à Paris, jusqu'à peut-être créer une sorte de zone franche, avec des facilités fiscales, des aides... au même titre que Berlin et Londres. A l'échelle européenne, ce chiffre peut avoir du sens", estime le spécialiste.
La capitale française souffrirait bien d'un déficit d'image, notamment auprès des entrepreneurs français, dont beaucoup préfèrent d'autres villes françaises pour s'installer. Pourtant, "l'écosystème des start-up est plutôt privilégié à Paris : les investisseurs et donneurs d'ordres sont plutôt là. L'écosystème en région se développe pourtant ces dernières années. Grenoble est depuis dix ans la référence des pôles de compétitivité, grâce à celui créé en 2004, qui a servi de modèle pour les autres collectivités", continue-t-il. Sur les soixante-douze pôles en place, seuls "cinq ou six" seraient réellement dédiés au numérique, estime M. Ezratty.
Qualité et coût de la vie. Les entreprises qui s'installent en région vantent avant tout le coût et la qualité de vie. "Nos fondateurs étaient à Nantes et y rester n'était nullement un frein pour l'entreprise, au contraire même. Nantes est une ville avec un environnement agréable, culturellement riche. Le coût de la vie est loin de celui de Paris, les temps de trajet aussi !", explique Eric Cambray, directeur technique de l'outil de création de CV en ligne DoYouBuzz. L'entreprise, qui a levé 610 000 euros en quatre ans, emploie actuellement sept personnes.
"Toulouse est une ville suffisamment grande et souvent connue à l'international. Les conditions de travail et de vie sont plus détendues qu'à Paris, qui est une métropole en constante frénésie. De plus, pour le même loyer, nous avons 200 m2 au lieu de 40 m2", explique pour sa part Ludovic Vialle, président du studio de développement d'applications pour mobiles LevelUp Studio.
Même pour des entreprises de plus grande taille, l'implantation locale a ses avantages. "Beaucoup de gens viennent de Paris : on leur fait visiter le bassin d'Arcachon et le problème se règle vite", résume ainsi Mathieu Llorens, président d'AT Internet, leader européen des statistiques de visite, qui emploie cent personnes à Bordeaux. "Les start-up allemandes sont à Berlin parce que la ville est moins chère et plus cool que Paris", renchérit-il.
L'enjeu de la formation. En dehors du coût de la vie et de sa qualité, le PDG d'AT Internet trouve d'autres avantages à Bordeaux : ses formations. "Le nerf de la guerre est la quantité et la qualité des développeurs, un gros manque pour notre filière. Ici, nous avons une très bonne université d'informatique, Bordeaux-I. Nous intervenons d'ailleurs dans la plupart des filières", détaille Mathieu Llorens, qui améliore ainsi ses recrutements.
La contrainte de formation est d'ailleurs partagée par les start-up. "Il y a pas mal d'écoles d'informatique [à Nantes], en plus de la fac, ce qui est primordial en ce moment où recruter de bons développeurs est assez difficile", indique ainsi Eric Cambray. Un point de vue pondéré, pour Toulouse, par Ludovic Vialle : "Bien sûr, c'est plus difficile de trouver du personnel, mais pas tant que ça : beaucoup de gens veulent quitter Paris et retrouver la province, donc ils sont très mobiles."
Des écosystèmes régionaux. Plus que la qualité de vie, l'attrait économique de ces pôles régionaux est également un facteur déterminant. "L'écosystème se développe en région depuis quelques années, notamment avec les 'cantines numériques'", des lieux fédérant des initiatives numériques, analyse Olivier Ezratty. "Ces écosystèmes se développent dans au moins une bonne dizaine de pôles régionaux, sans la densité parisienne, mais avec une volonté des municipalités", ajoute-t-il.
Les tissus locaux, encouragés par ces collectivités, se composent surtout (PDF) d'incubateurs, de nombreuses associations régionales, d'espaces communs de travail (coworking), d'événements dédiés et de financeurs, publics ou privés, qui garantissent la cohésion de ces entreprises. Tous les ans, plusieurs villes françaises accueillent aussi un Startup Weekend, destiné à la rencontre et à la promotion de ces jeunes pousses. Les réseaux régionaux des "business angels", leurs premiers financeurs, se sont eux fédérés dans l'entité France Angels. Ces nouveaux réseaux – également présents à Paris – se fondent aussi sur des cultures locales bien ancrées.
"Toulouse a toujours travaillé dans l'aéronautique (Airbus), l'aérospatial (Astrium) et les télécoms (France Télécom), donc le développement vers le numérique a été naturel. Orange y a notamment testé la 3G et y a son deuxième centre de recherche de France, derrière celui de Lannion-Rennes", explique Benoît Salles, un observateur de la scène toulousaine. La région compte également un pôle de recherche et développement ainsi qu'un parc d'activité "destinée aux jeunes pousses provenant des institutions", en plus d'incubateurs départementaux et régionaux mettant en valeur les entreprises numériques.
"Les acteurs toulousain du numérique (SSII, start-up...) se sont fédérés autour de l'association la Mêlée, qui organise des événements pour la promotion des acteurs de la région et l'exportation de leurs produits. Avec l'appui de la mairie, la Mêlée a aussi créé La Cantine toulousaine", sans compter des événements plus informels comme des apéritifs thématiques, résume Benoît Salles.
Les autres villes ne sont pas en reste. "Il y a beaucoup d'initiatives de la municipalité [bordelaise], avec des élus très sensibilisés", explique Mathieu Llorens. "Nous avons notamment des projets d'espaces numériques, des investissements importants dans les infrastructures techniques, avec plusieurs centres de données en projets", poursuit le président d'AT Internet. Plus au nord, "il y a un bon tissu de start-up nantaises, une vraie émulsion, notamment grâce à La Cantine numérique. C'est grâce à des passionnés au départ, mais les collectivités ont très vite favorisés cela, notamment avec un quartier de la création en préparation sur l'île de Nantes", défend Eric Cambray.
Paris reste difficilement contournable. La "contrainte" parisienne demeure pourtant : la ville reste centrale pour les relations commerciales. Quand les Nantais de DoYouBuzz préfèrent leurs "courts" trajets en train, des sociétés plus importantes préfèrent une implantation locale. "Ça n'a pas de sens de mettre des développeurs à Paris, ils ont avant tout besoin d'électricité et d'une connexion Internet. Mais la contrainte de la France est sa force centralisation. Nous avons donc une équipe commerciale de vingt personnes dans la capitale", explique pour sa part AT Internet. Pour les entreprises interrogées, les avantages resteraient tout de même bien supérieurs à cet inconvénient.
Dans l'absolu, lancer une start-up reste une activité difficile, avec beaucoup d'échecs pour peu de succès. Selon les derniers chiffres de l'Insee, le rythme de créations de ces entreprises innovantes recule d'ailleurs, malgré les promesses nationales et locales.
Guénaël Pépin
Politique numérique