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Eclairage sur l’histoire précoloniale des Baoulé de Côte d’Ivoire

Peuples et civilisations

Eclairage sur l’histoire précoloniale des Baoulé de Côte d’Ivoire

ALLOU Kouamé René

(UFR Sciences de l’homme et de la société, département d’histoire)

 

L’histoire des Baoulé a encore des points d’ombres qui ont besoin d’être élucidés. On peut citer la question des périodes exactes de leurs migrations et de leurs peuplements. Comment les Assabou qui sont à la base de la naissance du peuple baoulé, ont abandonné le twi-ashanti pour la langue baoulé une variante de la grande langue agni.

 

De la problématique de l’existence d’un Etat baoulé. De la période à laquelle situer la guerre des Baoulé contre leurs voisins Agni du Moronou. De la question du peuplement du baoulé-sud et de la diffusion des hommes dans tout l’espace baoulé.

 

Voici autant de questions auxquelles notre article s’attache à trouver des réponses, qui sont différentes de celles de nos devanciers.

 

mots-clés : Baoulé, Assabou, migrations, peuplements, Etat.

Cet article qui sera scindé en deux publications est consacré à l’étude des migrations et du peuplement de l’espace baoulé au XVIIIe siècle. Une deuxième publication concernera la diffusion des populations dans l’espace baoulé entre 1730 et le XIXe siècle.

 

Les Baoulé occupent le centre de la Côte d’Ivoire actuelle. Leur territoire a une forme triangulaire dont la hauteur pointe vers le sud, dans le bas-Bandama. C’est la région au confluent du Bandama et du Nzi. La base, dans la partie septentrionale, s’étend aux régions de Béoumi, Bodokro, Bouaké, et Mbahiakro. Leur espace géographique va des rives du Bandama à l’ouest, aux rives du Nzi à l’est. Les zones occupées par les Baoulé Ayaou, Yaourè, Suamenle et Elomouen débordent à certains endroits le fleuve Bandama sur son flanc occidental. Des Baoulé Ahali, Faafoè et Sono ont leurs terroirs qui vont légèrement au-delà du flanc oriental du Nzi, un affluent du Bandama.

 

Le peuple baoulé s’est formé entre le XVIIIe et le XIXe siècles. Son histoire est donc récente. Et pourtant, il y a beaucoup de points d’ombres dans la connaissance de son passé. Les questions chronologiques sur les périodes de ses migrations et de son peuplement sont à clarifier. L’on a admis sans preuve que les migrants de souche akan n’étaient pas nombreux, et cependant les sous-groupes baoulé sont presque tous de souche akan, nonobstant les éléments non akan qui ont été intégrés dans les ensembles familiaux.

 

Notre article identifiera les différents sous-groupes baoulé, la question de leurs migrations et de leurs peuplements, mais identifiera aussi les peuples pré-baoulé.

 

Comme nous l’avons indiqué, la question de l’existence d’un Etat baoulé, du peuplement du baoulé-Sud seront abordés dans la publication suivante. Timothy Claude Weiskel posant le problème de l’histoire pré-coloniale des Baoulé écrivait.

 

« A great deal of work remains to be done on the precise mechanism of expansion and assimilation which were at work over the course of early Baule history, but research in this direction would seem to hold out the most promising requests for a more complete understanding of Baule pre-colonial history » [1].

L’auteur pose le problème des connaissances de l’histoire pré-coloniale du peuple baoulé, des mécanismes de sa formation, de son expansion. Notre article aborde ces questions en y apportant un éclairage nouveau par rapport aux travaux de nos devanciers. La formation du peuple baoulé est le résultat d’un processus dont il faut dénouer les nœuds et classer de manière adéquate les pièces du puzzle, si l’on veut en avoir une idée claire.

 

Pour résoudre les questions chronologiques sur les migrations, nous aurons recours aux sources écrites hollandaises. Nous utiliserons les traditions orales des Baoulé eux-mêmes, mais aussi des Suamara de Dadièsso, des Ashanti de l’Ahafo, des Agni Béttié, des Sahié de Bosomoaso et de Wioso et des Brong de Doma. Ces traditions orales permettent d’éclaircir certaines questions. Nos devanciers n’ont jamais eu recours aux sources écrites hollandaises ni à autant de sources orales de peuples akan voisins.

 

Il faut équilibrer les données de la tradition orale des Walèbo du lignage Agoua, dont Maurice Delafosse s’est largement fait l’écho, avec les traditions orales des autres sous-groupes baoulé. En effet, certains sous-groupes comme les Aitou, les Ngban, les Suamenle, les Agba, ont vécu des évènements historiques particuliers dont il faut tenir compte en s’appuyant sur leurs propres traditions orales. Il ne faut pas oublier de placer l’histoire des Baoulé dans celle plus vaste du monde akan, entre les XVIIIe et XIXe siècles.

 

Nous étudierons ici les migrations et le peuplement de l’espace baoulé ainsi que sur la diffusion des hommes dans ce nouvel espace.

[1] Timothy Claude WEISKEL. French colonial rule and the Baule people : resistance and collaboration 1889-1911. Thesis, University of Oxford, juillet 1977, p. 9.

I-LES DIFFERENTES PHASES DES MIGRATIONS ET DU PEUPLEMENT DE L’ESPACE BAOULE au XVIIIe SIECLE.

 

La gestation du peuple baoulé prend forme avec le peuplement Assabou, donc des groupes qui ont migré sous la direction de la reine Abraha Pokou.

 

Cependant le pays était déjà riche en occupations humaines dont il convient de présenter les peuples qui en sont les auteurs ; bien que, pour certains auteurs, cela précède le début du cadre chronologique que nous avons fixé. Nous ne serons pas prolixe sur les peuples pré-Assabou qui n’appartiennent pas au continuum culturel akan, car la naissance du peuple baoulé est avant tout l’œuvre de migrants akan.

 

A- LES POPULATIONS PRE-ASSABOU

 

a- Sénoufo (Tagbana, Djimini) Kpanlan, Djamala

 

Des groupes Sénoufo divers peuplaient le futur espace baoulé, particulièrement les Babaala communément appelés Tagbana dont l’aire d’occupation était assez vaste, s’étendant vers le sud de la région de Bouaké jusqu’à la hauteur de Tiébissou depuis des zones plus au Nord comme l’actuel Worodougou, Kong et Katiola [2].

 

Ils ont des descendants qui ont été phagocytés dans les unités familiales des Baoulé Goli, Satrikan, Faafoè, Bro et Ahali [3]. Il en fut de même pour des Djimini, des Kpanlan (Koulango) et des Djamala [4]. Dans le Djamala vivaient des populations Gour, Mandé et plus proprement Malinké à l’ouest du terroir baoulé Goli.

 

b- Les Kouéni (Gouro) et Wan

 

Les Kouéni et les Wan sont des Mandé-sud. Le foyer des Kouéni s’étendait le long du Bandama sur les deux rives. Les Wan vivaient à l’Ouest de la zone baoulé Kodè. Les Kouéni ont été repoussés vers les rives Ouest du fleuve, mais ceux qui ont été capturés ont été intégrés aux familles baoulé. Les Wan ont subi le même sort.

 

Les traditions orales des Baoulé foisonnent de récits sur les guerres livrées aux Gouro pour s’emparer de leurs terres et capturer des hommes [5]. Il faut relever que ces peuples qui n’appartiennent pas au monde culturel akan n’ont pas donné de sous-groupes baoulé. L’inexistence chez eux de sièges qui fondent la personnalité des lignages, explique peut-être cela. Par contre les populations pré-baoulé de culture akan ont formé des sous-groupes baoulé.

 

C’est le cas des peuples issus de la migration que nous appelons la migration Akpafou - Ga - Krobou - Adele -Avatime.

 

 

[2] Jean-Marie KELETIGUI. Le Sénoufo face au cosmos. Les Nouvelles Editions Africaines, Abidjan, Dakar, 85 p ; p 19, 20. FOFANA Lemassou. « Contribution à l’élaboration de la carte archéologique du Worodugu : la région de Mankono (nord-ouest de la Côte d’Ivoire). » Annales de l’Université d’Abidjan. Histoire, tome XVII, 1989, pp. 9-30, p. 14, 22 et 23.

 

[3] Salverte MARMIER. Etude régionale de Bouaké 1962-1964. tome I, République de Côte d’Ivoire, Ministère du Plan, p 17. Cyprien ARBELBIDE. Les Baoulé, leur résistance à la colonisation. 64220 Uharte, p 3.

 

[4] Siriki OUATTARA . Les Anofwè de Côte d’Ivoire des origines à la conquête coloniale. Thèse de 3e cycle, Université de Paris I-Panthéon Sorbonne, sciences humaines, histoire,1986, tome 1, 429 p., tome 2, 736 p.

 

[5] Compte rendu de la sortie du 25-27 février à Subiakro par les étudiants de la 2e année de duel (1976- 1977). Institut d’Ethnosociologie (IES ), Université d’Abidjan, juin 1977, Kasa bya kasa, p. 96. Compte rendu de la sortie du 24-26 février 1979 à Diokro par les étudiants de la 1ère année de duel (1978-1979) Kasa bya kasa, p. 70.

c- Akpafou (Akpatifoè, Battrafoè, Mamala), Ga (Ngen), Krobou (Akrowou, Goli), Gbomiun. Peuplement provoqué par l’expansion akwamou (1660-1689)

 

Il existe des populations pré-baoulé dont l’identification a souvent posé problème. Or il suffisait de se référer aux traditions orales d’Ores Krobou dans la région d’Agboville, pour venir à bout de cette difficulté. Parmi eux, les Ngen de la région de Mbahiakro et du pays Ano où, ils disent qu’Adi Bilé est l’ancêtre fondateur de leur siège [6]. Les Ngen sont à tort assimilés à des populations d’origine mandé. L.G. Binger les appelle Gan-ne. Ils sont, disait-il, les anciennes populations de l’Ano, habitant aussi les confins du Baoulé [7].

 

Outre les Ngen, les Goli, les Akpatifoè (Akpatou, Akpo, Akpati), les Akrowoufoè (Akrowou), les Gbomi, les Battrafoè (Battra, Asrin), les Mamala (Wamala) sont des populations pré-Assabou [8].

 

Les traditions d’origines contradictoires que M. S. Bamba a recueillies auprès des Battrafoè ne le sont qu’apparemment. En effet, les Battrafoè de Tiassalé se donnent une origine céleste, tandis que ceux d’Elosso disent venir de Comoénzi (de l’Est du Comoé) [9]. C’est à juste titre que les informateurs de M.S. Bamba précisent que le nom Battra se prononce en réalité kpatlan [10].

 

Le lien étymologique entre kpatlan et (a)kpati se voit aisément, de même que celui entre battra et mamala car /b/ est allophone de /m/.

 

Quelles sont donc ces populations pré-Assabou qui affirment que leurs ancêtres sont descendus du ciel ? C’est un indice important que clarifient les traditions orales Krobou d’Ores Krobou.

 

Le clan Nzomon de ce village évoque une origine céleste en ajoutant que l’ancêtre Adjé Menimbou détenteur d’un siège a trouvé dans le pays les autochtones Kpaman. Les membres du clan Dabou venus du pays Krobo sous la direction de l’ancêtre Dibo Ayewra ont donné à la région le nom de leur terre d’origine [11]. Adjé Menimbou exercera dans la région une tyrannie telle que les populations se disperseront. Les Kpaman s’en allèrent à Boussoukro [12].

 

Ce village n’est autre que Boussoue qui, est justement peuplé par des Battra. Kpaman signifie peuple Kpa ou Akpati. Les Ega se réfugièrent dans le pays Dida d’où ils tentèrent en vain de revenir à Ores Krobou.

 

A partir d’Ores Krobou, les Kpaman s’implantèrent dans le Bas-Bandama où ils donnèrent naissance aux Battra, aux Akpatifoè et aux Mamala ou Wamala dont certains habitent Wamalakpli et occupent l’axe Toumodi-Tiébissou [13]. Des Krobou quittent Ores Krobou pour s’installer aussi dans le Bas-Bandama.

 

Le fait que des Akpati et des Akrowou se soient retrouvés ensemble dans le bas-Bandama est révélateur de l’histoire commune qu’ils ont vécu à Ores Krobou. Une fraction des Krobou, les Goli s’installera à Goliblenou. Goli est une déformation de Kloli, nom par lequel se désignent les Krobo du Ghana actuel [14]

 

Les Krobo du Ghana actuel situent leur origine à Tugulogo près des collines de Lolovo [15]. Les Ngen sont en réalité des Ga qui ont fui eux aussi le despotisme d’Adjé Menimbou pour se fixer dans la région de Mbahiakro et dans l’Ano. D’autres vont se retrouver en milieu Krou-Dida dans l’enclave Ega.

 

Les traditions orales des Ega confirment nos thèses.

 

Elles disent que les populations des villages de Dumbaro, Guawan, Dairo, Guiguedougou, Didizo, viennent du pays Ga. Les Edele de Labodougou se réclament du Mono, région située entre l’actuel Togo et l’actuel Bénin (ex Dahomey) [16]. Il s’agit donc des Adele-Avatime, populations Guan qui vivent dans la vallée de la Volta et du moyen Dahomey.

 

 

[6] Bonjour la province, Radio CI, sous-préfecture de Mbahiakro, 02-09-1992. OUATTARA Siriki. Op. cit., p.296.

 

[7] Louis Gustave BINGER. Du @#!*% au Golfe de Guinée par le pays de Kong et le Mossi 1887-1888. Paris, Société des Africanistes 1980, vol I, p. 224. Raymond DENIEL. Une société paysanne de Côte d’Ivoire. Les Ano, traditions et changements. Inades, Abidjan, 225 p., p 17.

 

[8] Voir Salverte MARMIER, op. cit. p. 19 ; J.N. LOUCOU, « Entre l’histoire et la légende : l’exode des Baoulé au 18ème siècle. De Kumassi à Sakassou, les migrations d’une fraction du grand peuple Akan » Afrique Histoire n° 5, pp 43-50 ; Mohammed Sekou BAMBA, Bas-Bandaman précolonial. Une contribution à l’étude historique des populations d’après les sources orales. Thèse de 3e cycle, tome I, Université de Paris I, Paris, novembre, 1978, p.145 & 166-167.

 

[9] M.S. BAMBA, La formation d’une ethnie Baule dans le Bas-Bandaman : les Elomwen de Tyasale (Basse Côte d’Ivoire). Annales de l’Université d’Abidjan, tome XIII, série I, 1985, pp 63-90, p 70-71.

 

[10] Ibid., p. 169

 

[11] Koffi Tehua OUATTARA, Origine et peuplement des Krobou. Mémoire de licence, Université de Côte d’Ivoire, faculté des lettres, département d’histoire, 1985-1986, p 4, 6 & 7.

 

[12] Ibidem.

 

[13] YAO née ANNAN Elisabeth, Les mouvements migratoires des populations Akan du Ghana en Côte d’Ivoire. Des origines à nos jours. Thèse de 3e cycle, Université de Côte d’Ivoire, faculté des lettres, département des sciences sociales, octobre 1984, 326 p. (p.131).

 

[14] Adu BOAHEN, Ghana. Evolution and change in the nineteenth and twentieth centuries., Londres, Longman, 1975.

[15] Kwamina B. DICKSON, A historical geography of Ghana. Cambridge University Press, 1969, 379 p.

 

[16] Danielle A. KONAN, Origines et migrations des Ega. Mémoire de licence, Université de Côte d’Ivoire, département d’histoire, 1988-1989, 53 p.

 

La migration Akpati, Ngen, Krobou, s’est produite suite à l’expansion de l’Etat Akwamu qui commence dès 1660 par la prise de Grand Accra (Ayawaso) la capitale des Ga et l’annexion de Petit Accra (Accra) sur le littoral [17].

 

Les Guan du sous-groupe Kpesi qui vivaient dans les plaines d’Accra ont été touchés par ces guerres [18].

 

A partir de 1677, les Akwamu étendent leur domination à toute la vallée de la basse Volta, aux plaines de l’Afram et aux escarpements de l’Akwapem [19]. Ces évènements majeurs de l’histoire du Sud-Est de la Côte de l’Or ont provoqué la migration de populations Ga, Krobo, Adele-Avatime, Akpafu et Akan de souches Akwamu, Kwahu, Akyem vers la Côte d’Ivoire.

 

Ces migrants Ga, Krobo, Akpafu donneront successivement en Côte d’Ivoire les Ngen, Ega/Krobou, Akrowou, Goli/Akpati, Akpatifoè, Battra, Wamala. Les Akpafu sont des Guan du pays Buem. Ils habitent le district actuel de Kawu dans la vallée de la Volta [20].

 

Ils sont aussi appelés Mawu et l’individu membre de leur ethnie est appelé Owu. Les Adele-Avatime qui sont également des Guan portent le nom Kèdane. Ceux d’entre eux qui peupleront l’Ega en Côte d’Ivoire sont justement appelés Edele.

 

Toutes ces populations une fois en Côte d’Ivoire, créeront leur premier grand foyer de peuplement à Ores Krobou, avant de se disperser dans les régions environnantes à cause de la mauvaise gouvernance d’Adjé Menimbou. Il s’agit du Bas-Bandama, du pays Ega, de la région de Mbahiakro de l’Ano, et du futur Baoulé Nord.

 

Les Ga et les Krobo ne sont pas originellement de culture akan, mais ils ont subi l’influence de la culture akan à cause de la proximité des Akwamu, Akyem, Kwahu et Guan.

 

Ceux qui arrivent donc à Ores Krobou sont très « akanisés », quoi que leurs ascendants relèvent de la culture Ga-Adangbe. Parmi les peuples qui ont précédé les Assabou, il y a les Alanguira.

 

[17] Georg NORREGARD, Danish settlement in West Africa 1658-1850. Boston University Press 1966, Boston- Massachusetts, p.47-58.

[18] Kwamina B. DICKSON, Op. cit. p 18-26.

[19] Ivor WILKS. The rise of Akwamu empire 1650-1710. Transaction of the Historical Society of Ghana III, 2, pp 99-136.

[20] M. E. KROPP, Lefana, Akpafu, and Avatime. Institute of African Studies (IAS), University of Ghana Legon, 1967. Comparative African Wordlists n° 3, 94 p.

 

d-La guerre ashanti-denkyira et le peuplement Alanguira (Denkyira)

 

Une migration akan provoquée par des guerres entre Ashanti et Denkyira sera à l’origine du peuplement alanguira dans le futur baoulé.

 

Ce conflit commencé en 1699, restait encore sans dénouement l’année suivante durant laquelle, les chefs denkyira se rendent à la conférence de paix convoquée à El Mina par le gouverneur de la compagnie des Indes Occidentales en Côte de l’Or, Van Sevenhuysen [21]. Deux batailles décisives en 1701, la première à Edunku puis à Feyase voient la déroute des armées denkyira [22]. Malgré la mort tragique du roi Ntim Gyakari, les Denkyira, avec à leur tête Badu Akrafi Brempon, résistent désespérément, mais ce dernier est capturé à son tour par les Ashanti.

 

La migration denkyira se fera alors de façon massive dans toutes les directions. Vers Mpoho dans le Wassa, en Akyem et sur la côte. Une partie importante des migrants passe par les territoires de l’Aowin et du Sefwi pour s’établir définitivement dans le futur baoulé. Ce fut le peuplement alanguira qui se fera entre 1701 et 1706.

 

De nombreux migrants passent le Comoé en amont de Katimanso à Gblagblaso. Certains franchissent le fleuve plus au nord vers la région de Kong comme ce fut le cas des Satrikan, traversent le pays Tagbana pour s’installer à Krofouesso sous la direction de Nana Becoin [23]. Des Alanguira du sous-groupe Ano-Abè essaiment depuis les confins du futur Ndenian et Djuablen avec une forte concentration autour de Katimanso.

 

Les Ano-Abè ou Abè ne doivent pas êtres confondus avec les Abè lagunaires de la région d’Agboville. Le nom abè est lié au palmier à huile et fut utilisé pour désigner les rois ano-abè. Cela est lié au fait que la famille royale denkyira est de matriclan Agona dont le symbole est le palmier à huile [24].

 

Les villages créés autour de Katimanso sont notamment Douffrebo, Gbeleso et Atrenou. Une fraction des migrants sous la direction d’Alui Ndohou, les Dumnihene, va à Wobèso où elle s’attèle à organiser un royaume, l’Ano.

 

Le nom Ano ou Ando vient de mot twi Adom/Adum qui signifie « guerre ». D’autres Alanguira s’installent dans les régions de Daoukro, Ouéllé, Bocanda, Katiénou et Agba Onglessou [25]. Ils se répandent dans les zones de Bouaké et de Tiébissou. A Katimanso vivent trois clans ; celui des Eloa Ndohou, on reconnaît là l’ancêtre des Dumnihene, celui des Asewè, détenteur du grand tambour et le clan Sopié ou Kpanyi Kpen qui parle d’une origine céleste, donc sans doute des éléments du peuplement akpafu-ga-krobo.

 

Les fondateurs du royaume ano entretenaient des relations étroites avec leurs frères installés dans les régions environnantes ; si bien qu’au moment où arrivent les Assabou, Alui Ndohou se rend à Niamonou pour conclure une alliance avec la reine Abraha Pokou au nom de tous les Alanguira. Voilà comment s’explique le passage d’Alui Ndohou à Niamonou que les traditions orales ano soulignent avec force détails [26].

 

Les Alanguira de l’Ano étaient les mieux organisés et leur roi Alui Ndohou jouissait d’une certaine autorité auprès des autres Alanguira. L’alliance entre Alanguira et Assabou fut un « modus vivendi » conclu entre deux peuples qui s’étaient naguère livrés une guerre impitoyable.

 

En effet, les Alanguira sont d’origine denkyira tandis que les Assabou sont d’origine ashanti. Les stigmates de la guerre entre leurs peuples d’origine respectifs restaient vivaces dans les mémoires. Certains comme Alui Ndohou et ses compagnons avaient pris part à ce conflit. Il est inexact de penser que les Assabou se sont imposés par la force aux Alanguira ou que les Ano ont été sujets de l’Etat baoulé [27]. Il y a eu simplement une alliance qui a permis une coexistence pacifique entre les Alanguira et les Assabou.

 

 

[21] Albert VAN DANTZIG. Les Hollandais sur la côte de Guinée à l’époque de l’essor de l’Ashanti et du Dahomey 1680-1740. Société française d’histoire d’Outre-Mer, Paris, 1980, 327 p.

 

[22] Ibidem, p. 125-126. & Sir Francis FULLER. A vanished dynasty ashanty. Frank Cass and co LTD, 1968, 241 p.

[23] YAO née ANNAN Elisabeth. op. cit. p. 134.

 

[24] Patrimoine, radio Côte d’Ivoire, Katimanso 17-06-1990. Informateur Nguetta Kouadio

 

[25] Salverte MARMIER, Op. cit., p. 19.

 

[26] OUATTARA Siriki. op. cit., p. 257.

 

[27] J.N. LOUCOU, « Note sur l’Etat Baoulé pré-colonial. » Annales de l’Université d’Abidjan, tome XIII, histoire, 1985, série I, pp. 27-59.Notre devancier soutient l’idée que les Ano auront à s’affranchir de la tutelle du royaume baoulé.

 

B- LE PEUPLEMENT ASSABOU

 

Afin de mieux saisir les tenants et aboutissants de la migration et du peuplement assabou, et surtout à l’époque à laquelle ils se situent, il est nécessaire de se référer à des repères chronologiques de certains évènements historiques sans lesquels, les fils sont impossibles à dénouer ne laissant le choix qu’à de veines hypothèses.

 

a- Repères chronologiques

 

1- La mort d’Osei Tutu et l’accession au pouvoir d’Opoku Ware

 

Amankwa Tia Panyi et ses troupes seront rappelés à Kumase par le roi Osei Tutu au moment où la guerre entre l’Ashanti et l’Aowin faisait encore rage. Le souci de mettre fin à la menace des Akyem soutenus par quelques irréductibles denkyira explique cette décision.

 

En octobre 1717, les sources hollandaises font état de la mort du Zaay (Osei Tutu) tué pendant l’une des batailles de la guerre contre les Akyem [28]. Priesley et Ivor Wilks soutiennent qu’Osei Tutu serait mort en 1712, et que ce fut son successeur dont le nom est éliminé par la tradition orale, qui meurt dans l’affrontement contre l’Akyem en 1717.

 

Or les traditions orales ashanti lient la mort d’Osei Tutu à sa guerre contre les rois Owusu Kyem Tenten de l’Akyem Abuakwa et Ofosu Apenten de l’Akyem Kotoku.

 

Selon les coutumes ashanti quand un roi est éliminé de la liste officielle des rois, c’est dire que son règne est jugé négatif, et il ne peut être l’objet d’une quelconque vénération. Or à cause du décès d’un roi ashanti dans le Pra au cours d’une bataille contre les Akyem, la coutume prescrit que le roi ashanti régnant ne doit plus voir les eaux de ce fleuve.

 

C’est dire qu’un roi éliminé de la liste officielle des rois n’a pas pu bénéficier d’un tel hommage. En outre les traditions orales affirment que l’héritier direct d’Osei Tutu est Opoku Ware [29]. La succession d’Osei Tutu va engendrer une guerre civile de laquelle disent les sources écrites, l’héritier du Zaay est sorti victorieux à la fin d’octobre 1718 [30].

 

Or l’historiographie place le début du règne d’Opoku Ware en 1720 [31]. Si Opoku Ware sort vainqueur de la lutte contre ses adversaires dès octobre 1718, pourquoi aurait-il attendu deux années entières avant de se faire introniser ? Surtout que la menace akyem était pendante.

 

Différents noms sont avancés quant aux protagonistes d’Opoku Ware à savoir Dakon, Boa Kwatia, Okukuadani [32]. Ce débat n’est pas fondamental parce qu’il y a souvent plusieurs candidats potentiels au trône d’or des Ashanti. Les affrontements contre les Akyem reprennent en 1718 et les Ashanti ont sans aucun doute mené cette guerre avec un roi à leur tête. La coutume akan veut qu’il soit vite intronisé un nouveau roi quand le précédent meurt et que la guerre se poursuit [33].

 

La guerre civile pour la succession d’Osei Tutu a duré d’octobre 1717 à la fin du même mois de l’année 1718. Opoku Ware est aussitôt intronisé et la guerre contre les Akyem reprend. Ebiri Moro, un guerrier aowin, en profitera pour lancer un raid meurtrier contre Kumase. Nous reviendrons sur cet évènement important.

 

C’est donc bien la lutte pour succéder à Osei Tutu qui sera à l’origine du départ des Assabou du pays ashanti et de leur refuge dans un premier temps en Aowin.

 

[28] NBKG 84, Letter from Accra to El Mina, October 30, 1717. Report of director general and council, march 1718. NBGK 84 ; Jan Van Alzen, Accra to DG Egelgraaf Robbertz ; El Mina, October 30, 1717.

[29] A. KYEREMATEN, « The royal stools of Ashanti ». Africa XXXIX, n.1 janvier 1969, London, Oxford university press, pp 1-10 ; p. 5.

[30] Letter from Van Naersen, Axim, 30 octobre 1718, El Mina journal. Le document dit ceci : « Les Asjantijise sont très divisés, à deux reprises, ils se sont battus, et c’est l’héritier du Zaay qui a eu le dessus » cité par Emmanuel TERRAY. Une histoire du royaume abron du Gyaman. Des origines à la conquête coloniale. Thèse d’Etat, université de Paris V, Paris 1984, tome II, p. 752.

 

[31] Ibidem, p.466. & K. ARHIN « A note on Ahafo oral traditions. » Research Review,IAS, University of Ghana Legon, vol 1, n° 1, Lent term 1965, pp 27-29.

[32] Voir les travaux de Reindorf, Fuller, Ivor Wilks, J.N. Loucou, Terray.

 

[33] Voir à ce sujet les circonstances de l’intronisation du jeune roi denkyira Boa Amponsem après le décès de Wirempi Ampem. K. Y. DAAKU. Unesco research project on oral traditions. Denkyira n°2, IAS : University of Ghana Legon, september 1970, p 13.

2- La guerre ashanti-aowin entre 1715 et 1721.

 

Cet événement est fondamental pour situer non seulement la période des grandes migrations assabou mais aussi agni. En effet les Assabou s’étaient réfugiés en Aowin dès 1718 sans doute pendant le mois de novembre ou de décembre, car en octobre Opoku Ware monte sur le trône ashanti.

 

Butler, l’agent hollandais, écrit les 1er février et 8 mai de l’année 1722, au sujet de cette guerre ashanti-aowin, qu’elle a abouti à l’exode massif des populations de l’Aowin.

 

Le document dit en substance :

 

« L’Ouwien, l’Assiantijn, l’Accanie et l’Akim, se sont engagés dans des guerres ininterrompues et interminables, qui ont enfin abouti à un engagement décisif dont les Assiantijnse sont sortis triomphants. Mais c’est l’Ouwien, la contrée la plus riche en or, qui a le plus souffert : sa population a été dispersée par les Assiantijnse et elle a été chassée de son pays » [34].

 

Voilà qui nous replace à la période vraie de la grande migration aowin dans laquelle est incluse celle des Baoulé Assabou. Le moment fatidique de la grande offensive ashanti de 1721 donnera le signal du départ massif des Agni et des Baoulé Assabou qui vivent alors en Aowin comme réfugiés.

 

La guerre entre l’Ashanti et l’Aowin a débuté en 1715. Osei Tutu entendait manifester son mécontentement à l’endroit du roi Ano Asema qui avait accordé l’asile au corps expéditionnaire ashanti après la destruction d’Ahwene Koko.

 

L’attaque d’Ahwene Koko, capitale du royaume Wenchi, entrait dans le cadre de la guerre d’Abessim qui a opposé les Ashanti aux futurs fondateurs des royaumes Abron-Gyaman et Doma en 1714 [35]. Les Aowin ont bravement repoussé l’attaque ashanti de 1715.

 

Le document hollandais à ce propos dit ceci :

 

« On apprit de très bonne source que les Ouwien ont bravement repoussé les Assiatyns. » [36].

 

Comme cette source l’indique, la première attaque ashanti contre l’Aowin s’est soldée par un échec. Or l’historiographie sur la base d’une supposée victoire ashanti, situe la migration aowin en 1715.

 

En réalité, la seule mesure que prend le roi de l’Aowin Ano Asema, est de charger les futurs Agni Sanvi et leur chef Amanlaman Ano de rechercher une zone de repli à l’Ouest du royaume si d’aventure un revers militaire survient.

 

L’attaque ashanti d’octobre 1715 est donc repoussée et le 27 janvier 1716, un armistice est conclu entre les belligérents [37].

 

 

[34] Butler à l’Assemblée des Dix, 8 mai 1722. Cité par E. TERRAY, op. cit., p. 735.

 

[35] K. Y. DAAKU, « A note on the fall of Ahwene Koko and its significance in asante history. », Ghana Notes and Queries, n°10, 1968, pp 40-44.

[36] NBKG 82, El Mina journal from Furley collection, vol II : Native States letters from Axim to Haringh, 17th October, 1715, from Butler.

[37] NBKG 84, El Mina journal extracts, Furley collection. From Blenke, Axim october 29 th 1717. Voir aussi, journal d’El Mina, 27 janvier, 1716. NBKG 82. Cité par E. TERRAY, op. cit., p 749. « Amancotyo et Jetuan sont arrivés à un accord avec les Ouwiens pour 300 bendas d’or, ils laisseront quelques gens de leur peuple dans l’Ouwien pour collecter chez tous les Assiantys dans l’Ouwien deux angels et demi comme tribut de chacun d’eux... Cela constituerait un trésor considérable pour le Zaay parce qu’on disait qu’un quartier de la totalité des Assiantyns est resté dans l’Ouwien. » C’est une allusion au corps expéditionnaire ashanti exilé en Aowin. Les réfugiés ashanti en Aowin étaient, comme le montre le document hollandais, très nombreux.

 

 

KHADHORMEDIA 16.08.2011 0 21857
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