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Kraidy Agnès, journaliste-écrivain - Par ma plume et avec ma plume, j'ai dit mon refus

 

Kraidy Agnès, journaliste-écrivain - Par ma plume et avec ma plume, j'ai dit mon refus.

vendredi 21 septembre 2007

Agnès Kraidy, 42 ans, journaliste-écrivain a publié en 2004, un ouvrage intitulé, chronique d'une guerre ivoirienne?, une compilation réussie des éditoriaux qu'elle a consacrés à la crise déclenchée le 19 septembre 2002. Dans ce livre elle dit son refus de croire à une déchirure entre le Nord ivoirien qui serait musulman, et le sud qui serait catholique. Dans cette interview, il y a de l'émotion Tout le monde sait que le journaliste-écrivain Agnès Kraidy est très engagée. Elle le dit déjà aucun sacrifice n'est grand quand il s'agit de son pays?

 

Vous avez publié le 19 septembre 2004 un ouvrage intitulé 19 septembre, chroniques d'une guerre vaincue?. Ne pensez-vous pas, au regard de l'actualité ivoirienne, au regard de l'Accord de Ouagadougou signé le 4 mars dernier, que vous avez eu tort d'avoir eu raison trop tôt ?


J'ai toujours estimé qu'un citoyen qui assume sa citoyenneté ne peut se permettre de rester silencieux, ni se prévaloir d'une neutralité lorsque son pays est attaqué, agressé, violenté. Le 19 septembre 2002, une rébellion armée s'est imposée à nous. Dès lors, il nous fallait, ou l'affronter, ou nous soumettre. J'ai refusé de me soumettre. Par ma plume et avec ma plume, j'ai dit mon refus.

Mais, j'ai surtout dit mon refus à tous ces imposteurs qui nous parlaient d'une "guerre ethnique". Comme si les Africains ne sont qu'un ramassis de poussières d'ethnies qui n'ont pour seule raison d'être que l'autodestruction. J'ai dit mon refus à tous ces pseudos analystes et experts de l'Afrique qui ne nous voient que comme des sanguinaires fous qui, au nom des religions, s'entretuent.

J'ai dit mon refus à toutes ces bonnes consciences qui nous prédisaient une déchirure entre le Nord ivoirien qui serait musulman et le Sud qui serait catholique. "Guerre civile", "guerre religieuse", "guerre ethnique", "guerre du Nord contre le Sud". Ce n'était rien de tout cela. Ce sont toutes ces guerres annoncées et prédites qui ont été vaincues.

 

Que voulez-vous prouver avec votre livre ? Il y a-t-il un jeu entre le journaliste et l'écrivain ?


Je n'ai rien à prouver. Il fallait se battre, je me suis battue avec les moyens dont je dispose : ma plume. Et mon livre n'est rien d'autre que le prolongement de mes écrits puisqu'il est une compilation de mes écrits de la résistance. Je n'ai donc pas la prétention de me présenter comme écrivain. Je suis journaliste qui a publié un livre sur la base de ses écrits quotidiens, pour affirmer son engagement et le pérenniser par ce témoignage.

 

Quelque part le livre perd quelque chose : son style d'information et passe, émotionnellement, aux analyses et prises de position à chaud.

Je ne comprends pas bien votre question mais je vais vous expliquer l'esprit de mon livre. Il s'agit, comme je l'ai dit plus haut, d'une compilation de mes éditoriaux, et donc de mes prises de position par rapport à l'actualité qui est la nôtre depuis le 19 septembre 2002. Le socle de mes écrits, c'était le quotidien. Un quotidien qui m'inspirait des analyses. Vous y trouvez donc de l'information et des analyses. Mes analyses sont-elles pour vous l'expression de mes émotions ? A vous d'apprécier.

 

Vous écrivez au chapitre 3 de votre livre "afin que demain soit ce que nous voulons". Quelle est la vérité qu'on trouve dans cette phrase ?

 

Demain, c'est l'avenir. Il me semble clair que notre avenir doit être à la hauteur de nos rêves, qu'il doit être le reflet de notre vision du monde, qu'il doit être porté par notre seule volonté. Voulons-nous vivre dans un monde de célébration des anti-valeurs ou des valeurs porteuses d'éthique et de morale ? Voulons-nous élever nos enfants dans la célébration du travail ou dans le culte de la facilité et de la paresse ? Voulons-nous construire un pays enraciné dans les profondeurs de notre âme ou porté par la légèreté de notre apparence ?

Nous sommes aujourd'hui englués dans un système de compromissions qui nous entraînent vers les profondeurs nauséabondes de la délation, du laxisme, de la corruption, de la promotion de la médiocrité, du clientélisme Voici notre présent. Je rêve pour notre pays d'un avenir irradié par la volonté de citoyennes et de citoyens conscients de leurs responsabilités. Je me projette, pour mon pays, dans un futur où ne seront promus que les meilleurs; où ne réussiront que les battants; où le savoir sera la chose la mieux partagée; où le patriotisme sera un art de vie en société.

Voeux ?

Oui, nous pouvons faire de notre pays un grand pays. Cela ne dépend que de nous. Si nous travaillons, si nous pensons intérêt général et non particulier; si nous sommes solidaires; si nous comprenons que nous sommes liés; si nous avons le respect de la chose publique... Notre futur nous appartient, nous pouvons en faire ce que nous voulons et cela ne dépend que de notre seule volonté. Il s'agit pour nous d'assumer notre moi ivoirien profond et le fortifier de sorte à être. Sans complexe. Et en toute fierté.

 

D'où vous vient ce regard sévère que vous portez sur les Français dans votre livre. Par exemple, "Français d'ici et de France", "les chiens ne font pas des chats".

 

Ne vous arrêtez pas aux titres de mes écrits pour penser en sortir la quintessence. Mon regard sur les Français, contrairement à ce que vous avez pu penser, n'a jamais été sévère. Dans le premier texte que vous avez cité, je met en exergue le fait que la politique ivoirienne de Jacques Chirac ne peut nullement mettre en péril les liens qui unissent deux peuples : les Ivoiriens et les Français. J'ai écrit que les Français, tout comme nous, sont victimes de la lamentable politique chiraquienne telle que déroulée dans notre crise.

J'y ai déploré le fait que l'armée française ait été utilisée contre nous pour défendre des intérêts privés. J'y ai dénoncé le fait que les Français aient été manipulés par ses dirigeants, notamment Jacques Chirac et ses hommes et femmes. J'y ai écrit que les Français vivant en Côte d'Ivoire ont été sacrifiés sur l'autel de la politique chiraquienne. novembre 2004 nous l'a confirmé : les Français ont été contraints de partir, certains ont été menacés. Pour aboutir à quoi ? A faire d'eux des déplacés dans une France qui ne s'est nullement occupée d'eux. Nombreux sont revenus après avoir compris qu'ils ont été utilisés.

La fin justifie les moyens, n'est-ce pas ?

Récemment s'est tenu à Abidjan un séminaire pour la restauration des lycées français et le retour des Français. C'est RFI qui nous l'annonçait. Mais en fait, c'est une manière pour la France de nous cacher le fait que nombreux sont ceux de ses ressortissants qui sont déjà revenus en Côte d'Ivoire. Voilà qui démontre, si preuves il y a à fournir, que les Ivoiriens n'ont pas combattu les Français, mais la politique chiraquienne en Côte d'Ivoire.

Quant au texte intitulé "les chiens ne font pas des chats", il s'inscrit dans la dénonciation du comportement de l'ex-rébellion, qui nous faisait tanguer au gré de ses chantages récurrents. Et parce que les chiens ne font pas des chats, mais des chiens, les rebelles sont restés dans leur logique de rébellion jusqu'à ce qu'ils décident de renouer avec la légalité. Tout le monde sait que le journaliste Agnès Kraidy est engagée et tout le monde a raison de savoir que je suis engagée.

 

Vous avez par moment manipulé vos lecteurs : exemple "le prix du patriotisme", "Salut combattant de la liberté", "l'Union pour la patrie", "on ne change pas son passé", "le putsch onusien".

 

L'avantage de l'écrit, c'est qu'il donne libre cours à tous les commentaires éventuels et possibles. Heureusement d'ailleurs. Mais de là, à m'accuser d'être une manipulatrice ! Qu'est-ce qu'il y a de manipulateur à répéter, après d'autres, que la patriotisme a un prix. Nombreux sont les Ivoiriens qui sont morts pour sauver leur pays.

Nombreux sont ceux qui ont tout perdu, et qui restent dignes et fiers parce qu'ils ont participé à sauver leur pays. C'est tout cela le prix du patriotisme : mourir, tout perdre, se retrouver ruiné et ne pas savoir si l'on peut repartir à zéro, mais en toujours garder en mémoire qu'aucun sacrifice n'est grand quand il s'agit de son pays. Logique donc qu'on salue, avec déférence, le combattant de la liberté qu'est chaque patriote.

Et puis, vous savez, comme moi, qu'un pays se construit et donc se défend dans l'union. L'évidence même nous enseigne qu'on ne peut pas changer son passé, parce qu'on ne peut pas influer sur le passé.

Quant au putsch onusien, c'est une dénonciation de la gestion onusienne de notre crise. L'Onu, dans ce qu'il nous a été donné de voir depuis 2002, ici, comme ailleurs; dans les pays en conflits et en crise, n'a jamais apporté de solutions aux attentes des peuples. L'Onu, ici, chez nous, s'est installée comme étant une partie de la crise.

L'Onu, ici, s'était autorisée à penser que nous, les Ivoiriens, étions à soumettre et notre pays à gouverner. Les différentes résolutions et déclarations onusiennes sont là pour nous rappeler à notre mémoire le règne de l'Onu en Côte d'Ivoire. L'Onu semblait prolonger le combat d'intérêts que nous livraient certaines puissances. Ici, chez nous, l'Onu nous a confirmé que les jeunes nations émergentes n'avaient droit qu'au droit que leur concèdent les grands pays.


Interview réalisée par
Ben Ismaël

KHADHORMEDIA 06.02.2012 0 2104
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