LE FIGARO. - Comment va l'Église de France?
Mgr PODVIN. - Ne soyons pas langue de bois. Elle connaît le défi considérable de son renouvellement: la question des vocations, la recherche de moyens pastoraux et matériels. Dans ce contexte difficile, je suis impressionné par sa capacité de résilience. Elle puise dans les forces de l'Esprit son renouvellement et sa volonté d'être présente dans la société. Du coup cette Église est décomplexée. Cette attitude est décisive dans la grande morosité et la crise morale que nous traversons. L'Église est un des rares havres de dialogue sur l'essentiel. De gratuité et de compassion, aussi.
L'arrivée du pape François change-t-elle quelque chose?
L'Église de France est en phase profonde avec ce père, venu de loin. Cette élection est une grande grâce. «L'effet François» se lit sur les visages. Je circule beaucoup. Les gens sont heureux de ce pape. J'ajoute un aspect que l'on n'évoque pas assez, son discernement. Aujourd'hui, l'Église sait qu'elle ne peut plus être présente partout. Elle doit faire des choix. Or, le pape François, qui est un ami des pauvres et un homme de discernement, aide non seulement à voir clair mais demande d'aller très loin. De vivre le combat et un choix radical pour le Christ.
L'action de cet «ami des pauvres» ne renforce-t-elle pas les «cathos de gauche»?
Sortons des schémas idéologiques! Là aussi il s'agit de discerner. On ne peut pas évoquer la gravité du chômage sans parler de la complexité affrontée par les chefs d'entreprise, tout en écoutant la douleur aiguë de ceux qui sont sans emploi. Céder au simplisme serait oublier que la personne humaine a une place centrale. Les croyants redécouvrent qu'ils ont un rôle de veilleur. Une vigilance sur l'homme, sur la protection de la vie, sur la cohésion sociale. Le catholique est un citoyen, mais sa foi et son espérance lui demandent d'être un médiateur et un prophète.
Vous voulez dire qu'il n'y a plus de catholiques de gauche et de droite?
Les familles de pensées se rencontrent davantage. Les lignes ont bougé. Oui, il y a encore des cathos de droite et des cathos de gauche. Le nier serait faire l'autruche. Ces appartenances sont respectables et souhaitables. Les édulcorer n'apporterait rien à la communauté chrétienne qui n'est pas univoque, loin s'en faut…
Il semble toutefois que le style de ce pape suscite un certain malaise dans le jeune clergé plus classique…
Regardez comment le pape François «habite» la liturgie, observez la profondeur de sa prière. Il vit du Christ. Je suis convaincu de la continuité entre Benoît XVI et lui. Ce sont deux hommes pétris par des itinéraires différents. Il y a plutôt une attente autour de la question: «Quelle surprise va nous réserver ce nouveau Pape?»
Ce matin, la Conférence des évêques se réunit à Paris pour sa session de printemps. Le vote de la loi sur le mariage gay a-t-elle renforcé ou affaibli l'Église de France?
L'issue du vote parlementaire nous attriste. Nous respectons la démocratie représentative. Mais devant un changement anthropologique aussi radical, la responsabilité politique sera, hélas, abyssale pour les générations à venir.
Mais l'Église a-t-elle politiquement échoué?
Je suis fier de mon Église. Elle a posé une forte interpellation dès l'amont de cette campagne. Même des incroyants nous ont remerciés. Reste, maintenant, à mener un travail d'unité au cœur des communautés parce qu'il y a toujours des différences d'interprétation: fallait-il manifester ou pas? Fallait-il se positionner à ce point? Fallait-il en faire plus? Toutes ces questions sont légitimes. Le travail de communion des évêques est d'écouter cette diversité. Il n'est pas facile pour eux de tisser une unité qui ne soit pas une uniformité et qui parle à chacun.
L'Église de France a toutefois surpris par sa capacité de mobilisation…
Ce fut une très belle surprise, oui. Mais l'Église ne cherche pas à capter pour elle-même une gloire, vaine par ailleurs. Elle est reconnue comme une autorité morale. C'est indéniable, même pour ceux qui sont gênés par la vivacité de cette autorité. Cela dépasse tous les clivages.
Quels sont les défis insurmontables de l'Église de France?
Le défi insurmontable est peut-être du côté de nos rêves. Nous devons renoncer à vouloir une Église à notre mesure. Le pape François nous y aide. Mais il ne faut jamais renoncer à ce pourquoi l'Église existe: proposer le Christ à toutes les générations, un Christ qui ne soit pas édulcoré mais le Christ dans sa plénitude, qui va jusqu'au bout, dans tout ce qu'il apporte à l'humanité. Être en résistance jusqu'au bout de la foi.
Les évêques se choisissent un nouveau président
Les évêques de France se réunissent en assemblée plénière à l'automne et au printemps à Lourdes. Mais cette année, l'élection du pape François les a conduits à repousser cette réunion qui se tient exceptionnellement au siège de l'épiscopat français, de mardi à jeudi. La centaine d'évêques présents doit procéder à une série d'élections internes dont la plus importante est celle du président de la conférence épiscopale car, après deux mandats de trois ans, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, ne peut se représenter. Le nom du nouveau président devrait être connu jeudi.
Le second dossier important est celui de l'enseignement catholique. Les évêques doivent adopter, s'ils parviennent à se mettre d'accord, les nouveaux statuts de l'enseignement catholique et nommer un successeur au secrétaire général, Éric de Labarre.
Enfin, l'actualité très chaude des débats et des manifestations autour de la loi sur le mariage gay et de la stratégie à tenir pour l'avenir sera aussi au cœur des discussions épiscopales. En ouvrant les travaux, ce mardi matin, le cardinal Vingt-Trois devrait prendre à nouveau position sur ce sujet.