Alors que les frappes pleuvent sur la Libye et que Kadhafi se cherche, certains dirigeants africains se font tout petits pour ne pas faire entendre le bruit de leurs souliers. Et l’on se demande si le temps des tentes au sommet est vraiment fini. Le «Guide» est en difficulté et plein de têtes couronnées regrettent déjà la fin de la perfusion kadhafienne...

Partira, partira pas au terme de l’opération «Aube de l’odyssée»? Il n’y a pas foule dans la confrérie des chefs d’Etats africains pour tenir ce pari. Mieux, chacun préfère éluder la question, tandis que l’Union africaine, longtemps frileuse, s’est finalement prononcée contre le recours à la force pour mettre un terme au règne du guide libyen, en proie à une révolution-rébellion de type insurrectionnel. Ici, pas de «Place Tahrir», ni de «Place de la perle». Juste des basculements et rebasculements de villes. Un jeu infernal dans lequel les morts se comptent par centaines. La puissance de feu de l’homme de la Révolution verte a parlé. Et à sa suite, une coalition internationale renverse la vapeur, en rangs dispersés, pour donner un coup de main à des insurgés déterminés et peu organisés et mal outillés.

En attendant de voir quelle direction prendra le vent de la débâcle, chacun compte ses acquis libyens sur le continent et se garde bien de placer le moindre mot qui fâche. Dosés à la mesurette des intérêts, les avis sur le départ du guide se font discrets. On préfère adopter un profil bas plutôt que de critiquer ouvertement les extravagances d’un bailleur qui sait en mettre plein la vue à ses affidés.

Ainsi, expliquent à juste titre plusieurs analystes, la frilosité de l’organisation continentale à l’égard de l’insurrection en Libye se justifie par «la générosité de Mouammar Kadhafi envers l’Union africaine, son rôle historique dans la création de cette organisation, ainsi que le médiocre bilan de dirigeants africains en matière de démocratie et de droits de l’Homme». Comment jouer les père-fouettards vis-à-vis d’un si généreux donateur qui «paie habituellement les cotisations en retard de certains pays membres, et contribue ainsi de facto à environ un tiers du budget de l’UA»?

Le «roi des rois traditionnels d’Afrique» est sûr de sa force, de l’influence tout en pétro dinars qu’il exerce sur ses pairs, grâce aux lourds et nombreux investissements qu’il a consentis dans plusieurs pays du continent. Ainsi, selon la Société libyenne d’investissements en Afrique, «la Libye a investi plus d’un milliard de dollars US en Afrique en 2008», dans les secteurs touristiques (hôtels et domaines fonciers), agricole, forestier, industriel, commercial et minier. Du Bénin en Afrique du Sud, en passant par le Burkina Faso, le Tchad, le Gabon, le Mali, etc., la griffe du guide est partout présente. Rien que dans l’hôtellerie, la liste est longue des édifices «Libya Hôtel» comme celui de Ouaga 2000, au «pays des Hommes intègres». Sans compter les «goudrons Kadhafi», la distribution des hydrocarbures par les pompes de «Oil Libya» et autres investissements non négligeables.

Une carte continentale dressée en 2008 par la Société libyenne d’investissements en Afrique est impressionnante! Plus de 30 pays africains bénéficient de la manne libyenne. On retrouve ainsi pêle-mêle les investissements avalisés par le «roi des rois» en Tunisie, Mauritanie, Sénégal, Guinée, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Ghana, Gabon, Congo, Centrafrique, Tchad, Niger, Egypte, Soudan, Erythrée, Kenya, Ouganda, Tanzanie, Madagascar, Zambie, Afrique du Sud, Gambie, Togo, Bénin, Sao Tomé et Principe, Guinée équatoriale, Liberia, Sierra Leone, Guinée-Bissau, Rwanda, Burundi, Seychelles, Iles Comores. Euh... qui n’est pas là? Le Mali!

Après tout ça, on comprend bien que l’on hésite à tirer à boulets rouges sur un guide décrié par un peuple trop longtemps resté sous l’étouffoir de ses vertes leçons. Et tant pis si, selon ses détracteurs, Kadhafi n’hésite pas à conditionner son «aide» contre la promesse de ses obligés de se convertir à l’islam. Mais bon, ce n’est qu’un moindre mal! Il n’y a pas longtemps, il conseillait ses ouailles d’émigrer en Europe, de s’y intégrer et de s’y marier afin d’obtenir rapidement la nationalité, avant qu’une loi européenne ne vienne interdire cela! Si ce n’est pas de la prévoyance, ça...

JJ

Journal du Jeudi