Situé dans les environs du District d’Abidjan, le peuple Adjoukrou (ou Adjukru, Adioukrou, Adyukru, Boubouri, Odjukru), représente environ 1 % de la population ivoirienne. Il est localisé dans le sud de la Côte d’Ivoire, précisément dans la région de Dabou. |
L’Intelligent d’Abidjan-22/2/2013
Situé dans les environs du District d’Abidjan, le peuple Adjoukrou (ou Adjukru, Adioukrou, Adyukru, Boubouri, Odjukru), représente environ 1 % de la population ivoirienne. Il est localisé dans le sud de la Côte d’Ivoire, précisément dans la région de Dabou.
Un peuple avec des origines Krou et Akan
Selon des historiens, les Adjoukrou sont venus de la région de Gagnoa-Divo. Ils sont localisés essentiellement dans la région de Dabou, située à une quarantaine de kilomètres à l’ouest d’Abidjan. Ils font partie du peuple Akan, et viendraient selon certaines thèses, de la Vallée du Sassandra. Sous la poussée des bété (situé au Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire), ils migrent vers les lagunes, puis se mélangeront avec les peuples Akan venus du Ghana. Les civilisations furent peu à peu dominées par des traits culturels Akan. C’est ainsi que les Adjoukrou passeront de la succession patrilinéaire à la succession matrilinéaire. A leur arrivée, la région était occupée par des populations d’agriculteurs et de pêcheurs : Les Akans lagunaires (Ebrié et Attié) ainsi que les groupes Adjoukrou les plus anciens (Obonou et Armébé). D’autres versions ancestrales traditionnelles situent l’origine des Adjoukrou vers le Bénin, tandis que similitudes ont été constatés, avec des peuples d’Afrique Centrale.
Un pouvoir trans-générationnel
Le peuple Adjoukrou se caractérise par des pratiques culturelles traditionnelles auxquelles il reste fortement attaché. Au nombre de ces traditions figure la fête de ‘’Low’’, célébrée sur une durée de 3 à 5 semaines selon les villages. Elle concerne les jeunes hommes âgés de 18 à 25 ans. La fête de ‘’Low’’ est obligatoire pour tout jeune Adjoukrou, car elle permet d’accéder aux différentes classes d’âge et à une catégorie bien déterminée. Le ‘’Low’’ confère une identité sociale à l’individu et atteste de la maturité du jeune homme qui passe de l’enfance à l’âge adulte. C’est le fondement de la vie sociale, politique, économique et guerrière dans le respect des normes et des valeurs. Elle se déroule tous les 2 ans, par catégorie, dans la période d’août à septembre. Chaque naissance est scrupuleusement consignée dans un registre tenu par un notable. Chaque citoyen Adjoukrou appartient pendant toute la durée de sa vie, à une classe d’âge bien définie. Le système des classes d’âges est l’organisation sociale fondamentale. Les étapes de cette cérémonie initiatique sont composées de processions, rites initiatiques, leçons sur les fondements de la vie et des épreuves mystiques et guerrières. Ceux-ci acquièrent à l’issue de la cérémonie, le statut d’adulte, l’aptitude à assumer des responsabilités sociales et le droit de participer à une guerre éventuelle à laquelle ferait partie le village. L’expression ‘’Eb-Eb’’désigne deux grands et importants aspects. En tant que cérémonie, elle donne ou confie aux uns, le pays (‘’Eb’’) à gouverner et ceux-ci le reçoivent ou le prennent. La fête de ‘’Eb-Eb’’ caractérise aussi la législature durant laquelle une génération gouverne. «C’est à la fois l’investiture politique et le règne. Les ayants-droit qui ont reçu et pris le pays en main s’appellent ‘’EB-ES EL’’. Ils sont les pères de la société. ‘’EB ES EL’’ symbolise ou représente le père primordial : le Fondateur. Les ‘’EBEBU’’ assurent une fonction sociale. Ils sont ceux qui possèdent le ‘’ESSEW’’ (pouvoir). En un mot, ils sont les ‘’ESSEW-EL’’, c’est-à-dire les maîtres du pouvoir (‘’ESSEW ES EL’’)», a confié Agnéro Akpa Ambroise, ‘’EBEBU’’. Les Adjoukrou sont profondément encrés dans la tradition, donc, le sacre (FEFR-ITM). Le doyen d’âge, le ‘’MILOWEL’’ prend une pincée de kaolin (FEFR) et de l’index droit, ponctue (ITM) le front du récipiendaire (‘’MILOWEL’’ de la génération candidate) juste entre les deux arcades sourcilières siège de la conscience morale. D’une seconde pincée de kaolin, il peint le poignet droit du candidat dans le sens de l’avant-bras vers la main. Enfin, il soulève des deux mains, les bras du consacré qui se lève de tout son long avant de se rasseoir sur le siège. Une fois consacré, le ‘’MILOWEL’’ reçoit les attributs du pouvoir. La canne (Kpama) qui symbolise l’autorité suprême. Elle permet à l’’’EB EBU’’ de se tenir débout pour orienter, guider son peuple dans la sagesse et dans la stabilité. Le chapeau (Toufê), quant à lui, signifie la protection de la communauté et de leurs biens : symbole de la sagesse spirituelle et morale. Le chasse-mouche (Saye) a surtout pour rôle de conjurer les mauvais sorts et les esprits maléfiques. Le port du pagne et son maintient sur l’épaule droite, explique Agnéro Akpa ancien directeur de la Bibliothèque nationale, traduit l’autorité suprême du ‘’EBEBU’’.
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Une société à classes d’âge
Les adjoukrou sont organisés en 7 classes d’âge (Sêtê, N’djrouman, Abrouman, M’bédié, M’borman, Nigbéssi, Bodjl), composées chacune de 4 catégories à savoir (Odjogba (les aînés), Bago (les puinés), Kata (les cadets), Boman (les Benjamins). Les Nigbessi (initiés entre 1966 et 1972), les détenteurs du pouvoir, les ‘’EBEBU’’ assument la direction suprême des fonctions politiques et religieuses. Ils invoquent les dieux et les ancêtres dans les cérémonies ordinaires qui doivent garantir la prospérité, la fécondité, la paix et l’indépendance dans le quartier, le village, le pays. «Aucune assemblée politique ne peut être convoquée sans leur autorisation. Tout discours doit être suspendu à leur arrivée et repris une fois qu’ils sont assis», a commenté, Agnéro Akpa Ambroise. En dessous des ‘’EBEBU’’, se trouvent les ‘‘Adjrofi’’. Ce sont les épouses des ‘’EBEBU’’. A Lopou, village situé à quelques encablures de Dabou, ce sont les ‘‘Bodjl’’ (1974-1980). Ils ont le pouvoir exécutif. Ils produisent les ‘‘Odadi’’ (les orateurs). Ils sont maîtres de la parole. Ce sont les avocats de la société. Ils président l’arbitrage des conflits. Ils jouent le rôle d’ambassadeur (les missions). Ils sont responsables de la gestion économique et financière du village. Les ‘‘SETE’’ (1982-1988) pour leur part, sont responsables de l’initiation des jeunes gens (Low) : éducation civique et citoyenne. Ces derniers assurent le trésor public. Les Ndjrouman (1990-1996), eux, ont pour rôle de demander et donner les nouvelles dans toutes les assemblées de quartier, de villages et de concessions. Par ailleurs, les Abrouman (1998-2004) ou ‘’Mab-Essel’’ (les hommes aux machettes) sont les auxiliaires directs des ‘’EBEBU’’ (les gouvernants). Ils sont les exécutants des lois, des décisions et des résolutions prises par les gouvernants, dans le sens de l’orientation du développement du pays. Lors des assemblées, ils servent et partagent la boisson. Ils assurent la sécurité intérieure et s’occupent des travaux publics. Les ‘‘Abrouman’’ constituent l’armée des gouvernants. Enfin, les ‘’M’bédié’’ (2006-2012) sont les soldats d’avant-garde. Ils sont les messagers et manœuvres subalternes. En règle générale, les Adjoukrou sont des agriculteurs. Ils produisent et vendent de l’huile de palme. Les initiations en pays Adjoukrou ont un caractère esthétique et festif au-delà de leur caractère culturel, coutumier et initiatique.
La fête de ‘’EBEB’’, un modèle de démocratie dans les sociétés africaines
La fête de ‘’EBEB’’ consacre le passage du pouvoir – exécutif, parlementaire et économique aux ‘‘Nigbessi’’. Au village de Lopou, où nous prenions part à cette fête le samedi 22 décembre 2012, un bel exemple de démocratie a été donné aux populations. La classe d’âge qui accède au pouvoir est surveillée par une génération. C’est ainsi que les ‘‘M’Borman’’ (classe d’âge anciennement au pouvoir) qui cèdent le pouvoir aux ‘’Nigbessi’’ devraient remettre le gage de sécurité du village (Lopou) matérialisé par une machette à leur génération cadette (Abroman) ne l’ont pas fait. «Les M’Borman qui devaient remettre la machette qui matérialise la sécurité du village ont refusé de le faire parce qu’ils estiment que leurs cadets – les Abroman leur ont manqué de respect. Pour cela, les M’Borman les ont amendés. Ils ont sommé de leur payer une somme de cent mille francs CFA», a clarifié le président du Comité d’organisation, Akpa François. Une telle décision qui n’était pas du goût des Abroman (la génération amendée) qui ont aussitôt pris d’assaut la place de la cérémonie. Assis à même le sol, les membres de la génération Abroman – vêtus de tee-shirts estampillés ‘’Abroman, changement absolu’’ – entendaient ainsi protester contre leurs aînés (les M’Borman). Ce quiproquo a amené les organisateurs à mettre fin de façon prématurée à la cérémonie. Approché, le meneur de la fronde s’est défendu. «Les M’Borman refusent de nous donner la machette. Ils nous imposent de payer une amende de cent mille francs CFA. Dans la loi fondamentale Adjoukrou, cela n’existe pas. Il n’y a qu’une somme significative d’argent à payer comme amende et deux bouteilles de liqueur à offrir. Nous ne sommes pas là pour un coup d’Etat, mais plutôt pour une démocratie villageoise. Nous allons rester ici. Si nos parents ne décident pas de cohabiter avec nous, nous allons rester sur les lieux de la cérémonie pour obtenir notre pouvoir. La tradition nous oblige à prendre la machette», a déclaré Essi Michaël, membre de la génération Abroman Nkongba (aîné de la classe des Abroman). Prenant à témoin ‘’FONIABA’’ et ‘’WUS’’ (Ciel et Terre), le MILOWEL (doyen d’âge des gouvernants sortants) passe le pouvoir comme sa génération l’a reçu. Il confie le pays (village) aux cadets. demande pour eux la longévité, la sagesse : «Qu’ils soient maître du pouvoir et qu’ils l’assument, mais non que le pouvoir soit leur maître et les assume», lance le MILOWEL sortant de la classe d’âge gouvernante sortante.
Cet acte du jeu démocratique a même été révélé par le parrain de la cérémonie ‘’EBEB’’ de Lopou, l’ex-Premier ministre, Jeannot Ahoussou-Kouadio, qui s’est réjoui de l’existence des principes démocratiques en pays Adjoukrou. «Nous pouvons nous réjouir qu’il y ait dans nos traditions, des principes démocratiques qui montrent que Africains que nous sommes, nous avons des systèmes de gouvernance qui sont des modèles de démocratie universelle», a commenté l’ex-Premier ministre. L’ancien ministre et chef de village de Lopou, Réné Diby, à témoigné que le pouvoir en pays Adjoukrou se cède en toute tranquillité à une classe d’âge au pouvoir. «Il n’y a pas de coup d’Etat. L’Afrique peut donner des leçons de démocratie. C’est dans la joie que nous cédons le pouvoir. Il existe des règles. Ce sont les vieux qui exercent le pouvoir. Il n’y a pas de regrets. Il n’y a aucun grincement de dents», s’est félicité Réné Diby. Il s’est demandé pourquoi les politiques ivoiriens ne s’inspirent pas de modèle de démocratie, qui n’a rien à envier aux modèles occidentaux. «Si on peut chercher des modèles de démocratie issus de la tradition africaine, je ne sais pas pourquoi les gens rejettent systématiquement ce qui est de chez nous. Les fêtes d’initiation telles que le ‘’Poro’’, le ‘’Tchologo’’ et le ‘’Low’’, sont très importantes. En amont, on apprend à intérioriser les valeurs fondamentales qui permettent une vie sociale harmonieuse dans la société. L’Afrique n’est pas en reste en matière de démocratie, bien au contraire ! », a-t-il fait savoir. L’accession d’une génération au pouvoir en relation avec la retraite de l’ancienne promotion gouvernante et la montée d’une jeune promotion entraîne des changements de fonction de l’appareil politique et l’acquisition de nouveaux statuts.
Alors, au-dessus des ‘’EBEBU’’ consacrés, la classe d’âge qui a remis le pouvoir passe au rang de ‘’MAKP IKN’’ (arbre de palissade). Ajoutés à cette classe d’âge, les ‘’LELESSEL’’ (vieillards qui sont les maîtres de la pensée et de la connaissance), ‘’NINNISSI’’ (vieillards de plus de 90 ans) et ‘’MILAKN’’ (vieillards de plus de 100 ans) jouissent d’une autorité politique, religieuse et morale.
L’accueil de l’’EBEBU au sein de sa famille
Après l’intronisation du MILOWEL (doyen d’âge de la classe au pouvoir) sur la place publique, chaque ‘’EBEBU’’ est accompagné dans une liesse populaire à son domicile. Où les membres de la famille y ont cuisiné de véritables festins. Différents mets locaux sont proposés au menu. Parmi les principaux repas, l’huile de palme en est le maître, car considérée comme un anti-poisson et l’igname qui symbolise le lien avec la terre et les ancêtres. Pour l’occasion, toutes les familles qui célèbrent le ‘’EBEBU’’ sont en effervescence. En compagnie des convives, des cliquetis marquent l’ambiance bon enfant sous les bâches disposées à cet effet.
Patrick Krou et Touré Youssouf