12.01.2011Par Théo RobinLe web joue un rôle incontournable dans le mouvement de révolte, et d’abord comme relais d’information. « D’habitude, on fait dans les 10 000 visites par jour sur notre site. Aujourd’hui, on est à plus de 80 000 » nous explique Malek Khadhraoui, directeur de publication de la plateforme communautaire
Nawaat. « Nous sommes un site de contre-propagande, nous pointons la désinformation dont sont victimes les médias, nous montrons ce que les autres ne peuvent pas montrer ».
Peu a peu, le régime semble céder face à ces « journalistes citoyens » qui mettent quotidiennement des
preuves de la répression en ligne sur Nawaat. Lors des premiers affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants, le régime ne reconnaissait que trois morts. Mais les
vidéos du site, les photos des
victimes à l’hôpital et les propos des
familles l’ont forcé en quelques jours à admettre que onze jeunes avaient été tués par balle. « Nous montrons les morts, nous avons des preuves » poursuit Malek Khadhraoui. « Alors que le gouvernement communiquait sur les casseurs qui détruisaient tout lors des manifestations, nous avons montré les images des policiers au comportement sauvage qui détruisent des vitrines ».
CYBERATTAQUES EN RÈGLE Les blogs propagent également depuis le début des événements le sentiment insurrectionnel. Peut être même l’ont-ils fait naître. « Nous avons imposé le débat en Tunisie » nous dit Malek Khadraoui. Lorsque Nawaat lance l’opération « Tunileaks » le 14 décembre, l’objectif est bien de montrer combien le régime est corrompu en publiant les
rapports de l’ambassade américaine obtenus grâce à WikiLeaks. Ils sont suivis le 2 Janvier par les Anonymous, des pirates informatiques anonymes
qui répondent au « cri de liberté du peuple Tunisien » en s’en prenant aux sites gouvernementaux, réussissant à rendre inaccessible celui du Premier ministre.
Si les blogs ont participé à lancer la révolte, certains de leurs auteurs admettent aujourd’hui être dépassés : ils reconnaissent leur impuissance face à un mouvement sans mot d'ordre et uniquement dirigé contre le régime. « Nous ne sommes pas des hommes politiques, nous ne faisons que montrer ce qui se passe » dit Malek Khadhraoui. « Vu l’importance incroyable des nouveaux médias, nous devons nous demander si notre rôle n’est pas d’orienter le mouvement ».
Vos réactions
Cette approche de la Tunisie m’a apporté un regard assez large et diversifié sur un pays dont on ne peut repartir sans garder pour lui, une marque amoureuse indélébile.
Quand j’y résidais, Dieu sait si j’ai parfois pesté au quotidien sur le sans gêne de nombreux Tunisiens, sur les lenteurs (et c’est peu dire) de l’administration, sur les mécanismes de raisonnement fort figés de certaines personnes, y compris fort intelligentes…
Mais ces réserves émises, je pense (comme beaucoup d’Européens qui y ont vécu) qu’il est totalement impossible d’avoir passé une part de son existence en Tunisie sans en rester marqué à vie. Marqué par quoi ? Par un je ne sais quoi, un je sais tout.
J’en suis revenu marqué par ce voisinage détonnant entre le fatalisme ambiant, une certaine hypocrisie sociale et religieuse, mais aussi une faculté profonde et sincère à ouvrir les bras pour accueillir, pour exprimer l’amitié, l’affection et l’amour, pour transformer un inconnu étranger en frère, en cousin, en ami… en être humain qu’on protège et défend contre vents et marées. J’en suis revenu marqué par une réelle richesse humaine, environnementale, gastronomique, économique…
J’en suis revenu marqué par une « âme tunisienne » à nulle autre pareille.
Le fatalisme ambiant, je l’ai rencontré dès mon premier voyage, dans mon premier taxi, quand j’ai ressenti cette volonté de crier « je ne suis pas libre » en me disant « tout va bien ». Mais je l’ai ressenti à travers chaque rencontre, dans le fond du bled comme dans les rues de la capitale. Comme une impossibilité à se prendre en mains, à devenir acteur de sa propre vie. Comme une volonté passive d’attendre que le lendemain soit meilleur que le jour même.
Il m’est arrivé de rencontrer des jeunes diplômés soucieux de travailler, effectuant les premières démarches… avant de s’éteindre littéralement et de retourner dans leur quotidien sans emploi.
J’ai ressenti aussi un fatalisme ambiant teinté d’une part de révolte, quand certains osaient braver la loi du silence pour évoquer, non pas vraiment leur président, mais plutôt tout cet entourage présidentiel et la poignée des familles les plus puissantes maîtrisant les richesses du pays à leur presque seul profit.
Heureusement, j’ai rencontré « des acteurs ». Acteurs de leur propre vie. Acteurs de leur volonté d’expression. Mais ceux-là, très souvent se retrouvaient dilués dans l’immobilisme administratif, dans les petites tracasseries usantes, dans les discours lénifiants de ces réunions de décideurs où l’on ne manquait jamais de rencontrer et d’entendre des personnages officiels défendant les discours officiellement fixés à d’autres niveaux qu’eux-mêmes.
C’est ce contraste entre le fatalisme ambiant et les « acteurs » dilués dans la passivité officielle qui engendre mon étonnement devant la flambée de volonté d’expression du peuple tunisien. Quoique…
La foule entraîne toujours/souvent la foule et dans ce pays où le voisin fait si souvent la même chose que son voisin, qui fait la même chose que son voisin… il ne m’étonne pas trop de découvrir que l’étincelle qui s’est allumée dans un drame, se soit propagée aussi spontanément en Tunisie mais aussi en Algérie (où la situation sociale et économique m’est apparue bien plus grave encore).
J’évoquais aussi l’impression d’hypocrisie générale que j’ai ressenti dans mon quotidien tunisien. Une hypocrisie qui n’a pas été sans me rappeler les temps o